lundi 16 juin 2014

Tong ! Tong ! Lyanne ouvrit les yeux. Le bruit se rapprochait. Il était régulier. D’une sonorité grave, il lui évoquait les tambours Gowaï. Cela éveilla son intérêt. Il n’avait pas de glace en mer pour y creuser des tambours. L’eau transmettait aussi ces vibrations, ainsi que d’autres qui semblaient leur répondre. Repliant ses ailes, il se laissa couler. Il nagea vers la source du bruit.
Toong ! Toong ! Celles-là venaient d’en dessous de lui. Plus fortes, plus graves, il les relia à une source plus grosse qui montait vers la surface. Il sonda. Dans la lumière de plus en plus ténue, il sentit plus qu’il ne vit, la créature marine qui se dirigeait vers la surface. Malgré sa taille, il fut bousculé par la vague qui l’accompagnait. Il espéra ne pas avoir à lutter avec. Il la suivit. Parfaitement adaptée au milieu marin, la créature avait poursuivi sa route à une vitesse que Lyanne n’atteindrait jamais dans l’eau.
Quand il arriva près de la surface, il vit le chaos. L’eau était brassée dans tous les sens par un grand corps qui se débattait en s’agitant. En se rapprochant, il vit aussi des hommes qui tentaient de survivre dans ces maelströms. Un corps inanimé passa à côté de lui, il l’attrapa. On était en plein combat. Fort de son pouvoir, il fit une bulle d’air pour y enfermer celui qu’il avait attrapé. Prudemment, il resta en dessous de la bataille. D’autres hommes coulaient. Il laissa passer les morts et récupéra les vivants pour les mettre avec le premier.  
Lentement les événements se calmèrent. L’énorme créature des profondeurs était maintenant prise dans un réseau de cordes entremêlées dont elle ne pouvait sortir. Ainsi réduite à l’impuissance, la myriade de petites embarcations entreprit de la remorquer. De temps à autre la bête remuait encore sans pouvoir se libérer. Lyanne pensa qu’il était temps pour lui de sortir. La flottille était devant lui quand il émergea. Le premier qui le vit poussa un cri. Tous les autres se retournèrent. D’un même ensemble, ils se jetèrent sur leurs armes. Lyanne poussa en avant ceux qu’il avait récupérés. Un homme fit un geste et posa sa sagaie. Une embarcation se détacha du groupe pour s’approcher de lui. De son museau, il poussa les restes des barques et les hommes qui y étaient accrochés.
- TIMINKALOF ! hurla le barreur de l’embarcation en direction de la flottille.
À son annonce, il y eut des cris de joie. D’autres barques vinrent vers les rescapés qui se répartirent entre elles.
Resta celle qui s’était approchée. Le barreur fit des signes à ses rameurs qui par petites poussées, amenèrent l’embarcation près de la tête de Lyanne qui était la seule partie émergée.
- Rame na ko tongtong borsal.
Lyanne fixa l’homme dans les yeux. Comme toujours quand Lyanne faisait cela, l’homme se troubla, bafouilla un peu, mais Lyanne avait eu le temps de voir dans son esprit la langue qu’il parlait.
- Tu n’es pas un tongtong mais ta tête est aussi grande. Tu as sauvé les nôtres.
- Qu’il vienne ! hurla celui qui commandait la flottille.
Le barreur qui parlait à Lyanne s’était retourné en entendant crier, il regarda à nouveau Lyanne.
- Viens, nous ferons la fête.
Il sursauta quand Lyanne lui répondit.
La barque reprit le chemin du retour, suivant la flottille qui traînait le tongtong. Lyanne leur emboîta la pas.
Ils mirent une journée et une nuit à rentrer au port. De temps à autre le tongtong se manifestait en essayant de se débattre. Les barques étaient remuées dans tous les sens mais les cordes tenaient bon. Quand ils approchèrent de la côte, Lyanne ne put voir si s’était une grande île ou un continent.
Les hommes traînèrent le tongtong le plus près de la côte. L’énorme bête s’échoua. Elle eut des soubresauts qu’ils utilisèrent pour la monter encore plus haut. Sa queue et ses nageoires arrières étaient arrivées à la limite de la terre quand elle cessa tout mouvement. Pendant ce temps Lyanne était sorti de l’eau en ajustant sa taille.
Il s’approcha du tongtong.
Des hommes à longues sagaies encerclèrent et le tongtong et Lyanne. Le chef s’approcha prenant à son tour une de ces lances au manche démesuré. Il regarda Lyanne :
- Veux-tu le sacrifier ?
- Ce geste est celui du chef, répondit Lyanne. Tu es le chef.
Une silhouette, la tête couverte d’un grand masque, arriva en agitant des tubes qui faisaient du bruit.
- Que la paix soit sur notre peuple et la compassion dans son coeur. Tongtong ne nous maudit pas de t’ôter la vie pour que vivent les nôtres…
Lyanne recula, écoutant la psalmodie de bénédictions du chaman. Quand celui-ci eut fini, il s’arrêta auprès de la queue du tongtong. Sortant un court épieu, il le planta dans la peau épaisse qui en composait l’extrémité. Le chef s’élança alors sur l’épine dorsale de la bête échouée. Il courut jusqu’à sa tête sur son échine. Arrivé au bout, il enfonça sa lance en poussant un grand cri. On entendit un puissant TONG TONG pendant que se soulevait la tête dans un dernier spasme, secouant l’homme accroché à sa lance. Puis dans une grande éclaboussure, tout s’acheva. La tribu poussa des cris de joie et se rua vers la proie tant convoitée. Derrière les hommes, armés de longues sagaies tranchantes, venaient les femmes et les enfants avec des paniers pour récupérer ce qui allait être découpé. Le premier panier qui descendit fut amené à Lyanne, le deuxième au sorcier qui était à côté.
Ne sachant que faire, Lyanne regarda le chaman. Celui-ci quitta le masque et le costume qui le recouvrait. Comme tous les autres, il était d’une grande maigreur, ses yeux étaient aussi noirs que la nuit. Sans faire plus de cérémonie, il se jeta sur la nourriture. Lyanne, à son tour, goûta le tongtong. Il eut dans la bouche une chair élastique manquant de saveur. Il eut la vision des profondeurs de la mer et de ses noirs abysses.
Lyanne ne termina pas ce qu’on lui avait amené. Il autorisa le chaman qui avait englouti le sien à finir. L’homme avait ralenti et prenait le temps de mâcher entre deux bouchées.
- Vous étiez affamés, dit Lyanne
- Il n’y a plus… de nourriture… depuis des jours et des jours… J’ai intercédé... maintes et maintes fois… sans que les dieux… nous écoutent.
- La terre est pauvre.
- Oui, et la récolte… a pratiquement séché sur pied… Nombreux furent les morts.
Lyanne le laissa continuer à manger un moment puis il reprit la parole quand le chaman s’arrêta.
- Chassez-vous souvent les tongtong ?
- Traditionnellement quand les vivres viennent à manquer. Mais la chasse est difficile. Sans ton intervention, nous aurions eu encore plus de morts. Ta venue est une bénédiction qui va nous coûter.
- Explique-toi ?
- Nous sommes le peuple maudit. Notre terre est presque stérile, la pluie ne tombe presque jamais. Les autres peuples disent de nous que nous portons le mauvais oeil. Quand nous arrive un bienfait, nous devons le payer. Les morts lors de la pêche au tongtong, sont le prix à payer pour que les autres survivent. Beaucoup ont été sauvés cette fois-ci. Alors qu’allons-nous devoir payer ?
Le chaman leva un regard aux prunelles noires vers Lyanne.
- Tu ne peux comprendre, toi dont les yeux sont comme de l’or.
Le découpage dura plusieurs jours. Lyanne alla pêcher pour son compte, capturant des poissons aux reflets argentés qu’il rattrapait par son vol rapide.
Il profitait des repas du chaman pour venir parler avec lui qui jouait le rôle du maître sorcier auprès de ce peuple décharné aux yeux noirs. En survolant la région, il avait vu qu’il était sur une grande île non loin du continent. Le manque d’arbres, d’eau et de terres arables, rendait l’endroit peu enviable. Lyanne lui avait demandé pourquoi il ne pêchait pas les autres animaux. Le chaman avait répondu que les poissons autour de l’île étaient empoisonnés. Celui qui en mangeait se vidait de ses fluides intérieurs jusqu’à mourir. Quand Lyanne avait parlé des grands poissons argentés qui bondissaient en mer, là où ils avaient capturé le tongtong, le chaman parla du manque de lignes de pêche. Ils ne pouvaient faire que des cordes à tongtong avec les fibres de l’herbe qui poussait. Des cordes rêches et rugueuses qui agrippaient  bien la peau des tongtong mais pas les poissons argentés. Quand Lyanne avait parlé de chercher de l’eau pour arroser la terre, le chaman avait parlé du manque d’outils. Seul le bois flotté existait et on le gardait pour les indispensables sagaies à tongtong. À chacune de ses interrogations, le chaman répondait par une impossibilité, avec souvent un commentaire sur l’incompréhension de ceux qui n’avaient pas les yeux noirs.
Lyanne avait compris que ce peuple forgeait son identité autour de ses malheurs. Sans la croyance que rien d’autre ne pouvait exister pour eux, ils n’auraient pas pu continuer à vivre sur cette île.
Il fut un peu surpris de voir l’enfant venir vers lui.
- Z’est toi qu’a péché mon papa ?
- Il était à la pêche au tongtong?
- Z’est lui qui bat les tambours.
- Raconte-moi.
- T’as vu la grande barque ? Ben non t’as pas vu, elle est cassée.
L’enfant avait dit cela comme une évidence.
- Même qui vont la refaire, mais on sait pas quand.
Il disait cela en jouant avec une tige de ces herbes hautes qu’on trouvait en abondance et qui servait à faire les cordes à tongtong. Il traçait des traits dans la poussière se rapprochant et s’éloignant des griffes de Lyanne.
- Z’est vrai qu’tu voles ?
- Oui, répondit Lyanne.
- Pourquoi j’vole pas, moi ?
- As-tu déjà vu des humains voler ?
- Ben nan, mais si j’volais…
- Que ferais-tu ?
- J’ramènerai plein à manger !
- As-tu souvent faim ?
- Tout le temps, même que des fois, on manze des herbes.
- Comme celles que tu tiens...
- Ben ouais, ya rien d’autre... t’sais !
- Aujourd'hui, tu as du tongtong.
- L'est pas bon. J'préfère quand ya des galettes.
- Il faut autre chose que des herbes pour faire des galettes, répliqua Lyanne. Où trouve-t-on cela   ?
- Viens, j'te montre.
L'enfant parti en sautillant. Lyanne se leva et le suivi. Ils montèrent un moment pour atteindre un
 plateau un peu plus haut. La terre y était plus riche qu'au bord de la mer. Bien entretenue et bien arrosée, elle donnerai assez pour nourrir la tribu. Lyanne regarda autour de lui   :
- Où est la source   ? Il faut de l'eau pour que les plantes poussent.
- Faut aller la chercher là-bas, dit l'enfant en désignant un point au loin.
- C'est loin   !
- Et pi c'est lourd   ! Y'en a jamais assez   !
Lyanne regarda la terre devant lui. Il sentait l'eau qui courait en dessous.
- T'mag laisse l'invité, dit un adulte qui arrivait avec une cruche ébréchée pleine d'eau.
- Il m'enseigne, dit Lyanne...
Cela fit rire l'adulte aux yeux noirs.
- Il est bien petit pour enseigner. Y sais pas de quoi il parle.
- Il me parlait de l'eau qu'il faut aller chercher là-bas quand elle court sous la terre.
- C'est ce que j'vous disais   ! Il ne sait pas de quoi il parle. Y a pas d'eau en dessous. Dès qu'on creuse un peu, on tombe sur d'la roche qu'on peut pas casser. Même si y'avait d'l'eau on pourra pas l'atteindre. Y’aura d’eau quand la saison des pluies arrivera.
L’homme ne s’était pas arrêté pour parler et ses derniers mots s’étaient perdus dans vent pendant qu’il redescendait vers le village.
- Crois-tu tout cela T’mag ? demanda Lyanne à l’enfant.
- Tout l’monde dit ça, répondit l’enfant.
- Savent-ils tout ce qu’il y a à savoir ? Je regarde la terre par-là et je sens l’eau.
- Tu sens l’eau ?
T’mag renifla.
- J’sens rien !
- Viens, approchons-nous.
Lyanne se dirigea vers l’épaulement de terrain qui bordait les champs en amont.
- Que vois-tu ? demanda Lyanne à l’enfant.
- Ben rien !
- Rien ?
- Ben si, la terre, les cailloux, les herbes et puis les buissons...
- Vois-tu comment sont les herbes et les buissons ?
- J’comprends pas.
- Je vois des buissons presque verts alors que les autres sont jaunes. Pourquoi ?
- Parce que z’est comme ça, dit T’mag en haussant les épaules.
- Quelle curieuse réponse ?
- Z’est c’qu’on m’dit quand j’demande.
- Ah ! Peut-être voudrais-tu savoir ?
- Tu sais, toi ? demanda T’mag en jetant un regard plein d’espoir vers Lyanne.
- Allons-voir.
La bordure du champ était faite dfépineux aux branches fines. De petites feuilles vertes en montraient la vivacité sur une petite portion.
- Regarde, T’mag. Le sol est différent ici.
Lyanne donna un coup de patte, creusant un profond sillon au pied de l’arbuste.
- Tu pourrais creuser ici.
- Tu crois ?
- Essaye ! Sinon comment sauras-tu si tu peux le faire ?
T’mag chercha un peu et trouva une pierre plate qu’il put manipuler à deux mains. Il revint tout fier de sa trouvaille et donna quelques coups dans le fond du sillon creusé par les griffes de Lyanne. Il retira du sable grossier tassé par le temps. Quand il heurta la pierre, il dit :
- T’vois, ya que d’la pierre !
- Je vois, mais ce que tu viens de retirer est humide.
- Ah ouais ! j’avais pas vu. C’est curieux ça.
T’mag se remis au travail en suivant la zone humide.
- Aie ! dit-il en se piquant
Il regarda Lyanne :
- Y m’gêne, dit-il en désignant l’arbuste. Ça vient d’en dessous.
Lyanne posa ses griffes sur la plante et tira. Elle résista un moment avant de céder dans un grand craquement.    Elle sortit lentement de son logement avec une longue racine sur laquelle étaient encore accrochées des pierres.
T’mag siffla entre ses dents pour exprimer son étonnement. Il se pencha à nouveau vers le trou dans le sol. La terre y était humide. Il déblaya le cône laissé par la plante. Plus il enlevait de terre et plus elle était mouillée.
- D’l’eau ! dit-il en se relevant.
Son sourire se mua en masque de peur.
- Qu’est-ce q’va dire mon père ?
- L’eau est indispensable pour les champs, répondit Lyanne. Il en sera heureux.
- Mais tu ne comprends pas, c’est nouveau…
- Et ?
- Tout c’qu’est nouveau est dangereux. Si les anciens l’faisaient pas, c’est qu’y faut pas l’faire.
T’mag se mit à reboucher le trou.
- J’veux pas être celui qu’amène l’malheur…
Lyanne secoua la tête.
- Tu sais que l’eau est vie. Aujourd’hui tu as le droit de choisir. Un jour moi aussi, j’ai eu à choisir. C’était un anneau. Soit je le prenais, soit je le laissais. Dans un cas je vivais, dans l’autre je mourais.
T’mag s’était arrêté de remettre de la terre. Il regarda Lyanne.
- J’ai choisi ce qui pouvait sembler le plus risqué et… je suis là aujourd’hui.
T’mag avait hésité un moment mais sa peur fut plus grande.
- Faut remettre tout ça en place…
Lyanne mit un moment à le convaincre qu’on ne pouvait pas replanter l’arbuste, d’autant plus que l’eau avait trouvé son chemin. L’enfant avait pris peur et avait beaucoup insisté pour partir. Ce qui au départ lui était apparu comme un jeu, l’effrayait. Lyanne l’avait suivi sans rien dire.
Il avait fallu deux jours pour que l’eau remplisse le trou. Il fallut encore autant de temps pour que naisse le ruisseau.
Le chaman avait été convoqué pour faire une cérémonie conjuratoire. Quel mal allait arriver ?
Lyanne avait entendu T’amg dire à son père :
- En attendant qu’le mal arrive, on pourrait cultiver la terre.
- Tais-toi, mon fils. Il faut attendre ce que va dire le chaman. Les esprits sont contrariés. Rien de semblable n’est jamais arrivé.
- Ben oui, mais ya eu aussi l’arrivée du dragon qu’a sauvé les chasseurs de tongtong et ya rien eu de mal.
- Tais-toi, mon fils. Le chaman va parler.
- PEUPLE AUX YEUX NOIRS, hurla le chaman. La trame du monde a bougé.
Sa déclaration sidéra les participants. Tous se regardèrent avec des yeux inquiets. Qu’allaient-ils devenir ?
- Les antiques règles sont bouleversées. Un passage s’est ouvert entre les entrailles de la terre et notre plan de vie.
T’mag regarda Lyanne qui se tenait assez loin de là. Qu’avaient-ils fait ? La seule chose qui le rassurait, était que personne ne semblait savoir qu’il était celui qui avait ouvert le passage.
- Les esprits m’ont parlé. Cette eau n’est ni malédiction, ni bénédiction. Elle est force, tellement forte qu’elle les déplace. Leurs voix devenaient faibles… Bientôt, ils ne seront plus là pour nous guider.
Il y eut des cris dans l’assistance. Plus d’esprits pour les guider ? Qu’allaient-ils pouvoir faire ?
Si un des plus jeunes proposa de cultiver pour se préparer au pire, les autres décidèrent de faire un rite d’expiation pour les fautes qu’ils avaient dû commettre pour se voir ainsi punis.
Lyanne vit la majorité du peuple aux yeux noirs se diriger vers la plage. Les enfants furent écartés et s’égaillèrent dans toutes les directions. Lyanne arrêta T’mag quand il passa près de lui.
- Que vont-ils faire ?
- Faut qu’le sang coule pour apaiser les esprits. P’t-être qu’y reviendront ?
Lyanne le laissa continuer son chemin et se dirigea vers la plage. Le chaman haranguait les hommes pour qu’ils offrent leur sang sur la pierre à offrandes. Avec un morceau de coquillage, ils s’entaillaient suffisamment pour que le sang tache la pierre. Pendant qu’un participant officiait, les autres psalmodiaient un chant aux sombres accents. Les paroles parlaient de malédictions et de fautes. Lyanne ressentit une lassitude. Il était arrivé depuis maintenant assez longtemps. Il espérait avoir un signe de la direction à suivre. Rien ne se passait comme il espérait. Il décida de prendre du recul puisque tout ce qu’il faisait pour eux semblait leur compliquer la vie.
Il avait vu plus haut sur la colline, un surplomb. Il pensa qu’il y serait bien pour réfléchir. À l’abri des regards, il pourrait même reprendre sa forme humaine. Depuis qu’il avait fait Shanga, c’était la première fois qu’il restait aussi longtemps sous une seule forme. L’autre lui manquait. Jetant un dernier coup d’œil aux hommes qui se sacrifiaient pour une cause qu’il ne pouvait comprendre, il décolla.

mardi 10 juin 2014

L’éruption avait commencé dans la nuit. Lyanne regardait le panache de fumée et de vapeur qui s’élevait de la mer dans la lumière du soleil levant. Il avait l’intuition que son chemin allait dans cette direction. Il allait maintenant partir. Sa quête le menait de voyage en rupture sans lâcher ce qu’il était, un roi-dragon, incomplet tant qu’il n’aurait pas trouvé…
Il posa son bâton de pouvoir au sol. Il en sentit le tremblement, comme le grommellement d’un être qui exprimait sa colère. Devant lui, elle sortait en lourds nuages du fond de la mer. Il pensa : « Ce soir, peut-être demain, la terre émergera. Le royaume de Dgala s’agrandit ».
Il devint dragon rouge, aux larges ailes pour voler loin. Le vent lui serait favorable. Cela le fit sourire, découvrant ses crocs dont la blancheur contrastait avec le rouge profond de sa robe. Une sensation le fit se retourner.
Il vit Dgala.
- Cette nuit, j’ai entendu la terre. J’voulais pas qu’tu partes sans t’saluer.
Il s’approcha de Lyanne :
- J’tavais jamais vu en dragon.
- Cette vision te plait-elle ?
- J’comprends mieux ce que je ressens dans l’bâton. J’croyais pas qu’tu s’rais si grand.
Dgala eut un mouvement de recul quand le dragon rouge se mit à sourire de toutes ses dents. Il fut rassuré en entendant la voix de Lyanne :
- La vérité est souvent plus grande que l’apparence. Sois un bon roi, Dgala. Nous nous reverrons quand ma quête sera finie.
Lyanne se lança dans le vide, déployant largement ses ailes. Dgala le regarda s’éloigner, les yeux embués. Quand il rejoignit ses gardes, ceux-ci le regardèrent avec encore plus de considération. Désobéissant aux ordres dans l’intention de protéger leur roi, ils avaient vu ce qu’ils ne devaient pas voir. Ils avaient vu aussi Dgala discutant d’égal à égal avec cet être gigantesque pour lequel, ils n’avaient pas de nom. La légende se répandit doucement de l’intervention d’un oiseau rouge comme la lave et grand comme une colline pour rétablir la justice sur l’île de Fanhienne.
 

Lyanne contourna la colonne de fumées. Il survola le point d’éruption et vola droit dans cette direction. Tous ceux qu’il avait interrogés, lui avaient dit ne pas connaître de terre par là. Ceux qui avaient tenté la traversée n’étaient jamais revenu. Leurs bougies s’étaient éteintes sans qu’on les revoit. Tout en battant des ailes, Lyanne repensa à cette magie particulière du peuple des îles Waschou. Chacun, à sa naissance avait droit à une bougie qu’on allumait et qu’on déposait dans un temple. La flamme brûlait sans la consumer tant qu’il vivait. À sa mort, la flamme s’éteignait. Tout le monde savait ainsi qu’il était inutile d’attendre le retour de celui que la mer avait pris. Lui avait-on allumé une bougie ? Il en doutait.
Le temps passa. Quand le soleil passa au zénith, Lyanne planait. Il volait assez haut, se laissant porter par le vent régulier. Il avait perdu de vue l’île depuis longtemps et rien ne venait troubler le moutonnement de la mer en dessous de lui.
La vision du coucher de soleil le remplit de joie. Les rouges le disputaient à l’or. Il prit ce chatoiement du ciel pour un présage favorable. 
Le matin le trouva somnolant en vol. Le vent était régulier à cette altitude et la mer… vide.
« Bon, pensa Lyanne, c’est plus loin que je ne le pensais ! »
Pour se remettre en forme, il battit des ailes prenant de la vitesse. Il alla ainsi jusqu’au soir sans voir d’autres choses que ses ombres de poissons dans l’eau et des vagues à l’infini. Il était entre deux mondes aussi bleus que différents.
A l’aube du troisième jour, il vécut comme une déception de ne rien découvrir de nouveau. La mer était-elle si grande ? Pourtant il ne douta pas de son intuition. Il lui fallait continuer. Ce jour passa comme la veille. Quand arriva le lendemain, il ne fut même pas surpris de ne rien voir de nouveau, mais sa faim de dragon s’était réveillée, d’autant plus forte, qu’il volait depuis plusieurs jours. Il descendit près de l’eau. Il sentit qu’en volant à une certaine hauteur qui devait dépendre de sa taille, il fatiguait beaucoup moins. Il se perdit dans la contemplation des vagues, recherchant de la nourriture. Il captura ainsi quelques poissons. Moins gros que ceux de l’île de Fanhienne, ils suffirent à calmer sa faim par leur nombre. Cela lui occupa une bonne partie de la journée. Les attraper n’était pas toujours facile. Il lui fallait parfois plusieurs essais et il avait dévié plusieurs fois de sa route. Avec la nuit vint la brume. Il sentit l’air mouillé sur ses écailles. Sa mémoire fut emplie de souvenirs. Pour la première fois depuis le départ de Tichcou, il soupira sur la longueur de sa quête. Son pays lui manquait. Même si un dragon ne dormait pas, ou pas comme un humain, il aurait apprécié de se poser.
Au septième jour, il avait des bouffées de haine contre le brouillard et rêvait de mibur. La visibilité était nulle. Heureusement ses autres sens fonctionnaient.  Il devenait vent avec le vent, lumière avec la lumière. Allait-il en ligne droite ou tournait-il en rond ? Il ne savait plus. Le monde autour de lui avait cette couleur laiteuse qu’il avait rencontré dans le grand pays froid ou dans les chemins des Montagnes Changeantes. Était-il revenu en ces lieux si éloignés ?  Le vent lui indiqua un chemin, il le suivit. Il se laissait porter doucement, en faisant confiance… Il entendit le bruit des vagues. Il descendait. Quand il fut juste au-dessus de l’eau, il ralentit autant qu’il put et se laissa tomber. Il fit un grand bruit avec beaucoup d'éclaboussures. Il écarta largement les ailes qui s’étalèrent à la surface. Il se mit à flotter, bercé par le mouvement de la mer. Il n’y avait plus qu’à attendre. Il ferma les paupières.

dimanche 8 juin 2014

Les jours qui suivirent furent très chargés. Des équipes avaient été organisées pour fouiller la zone de la catastrophe. En écoutant les uns et les autres, Lyanne avait mieux compris la société des îles Waschou.
Chaque île était sous le contrôle d'un prêtre du dieu endormi et tous étaient sous la gouverne du grand-prêtre. Le dernier était Djalm dont on n'avait rien retrouvé. Pour les questions pratiques un chef de galères comme Djoug, était nommé par le prêtre de l'île, charge à lui de répartir le travail et les missions. Djoug était le chef de galère de Djalm. Mais si leur entente avait été bonne, elle s'était altérée au point que Djoug risquait d'être démis. Djoug faisait partie de ces plus jeunes qui souhaitaient faire évoluer la société. C'est-à-dire une société où lui et les autres chefs de galère auraient plus de pouvoir. Ils s'appuyaient sur le mécontentement du petit peuple qui souffrait de voir le temple engloutir le fruit de leur travail. Les premières portes en bois avaient demandé, vue leur taille, un an de récoltes et des razzias.
La cérémonie avait fait venir sur l'île tous les prêtres sauf Dgada, tellement vieux qu'il n'aurait pas supporté le voyage. Contrairement aux chefs de galère qui avaient été laissé de côté, tous les prêtres présents avaient fait des pieds et des mains pour être bien placé derrière Djalm. Ils étaient tous dans la dernière salle au moment du tremblement de terre et n'avaient pas eu le temps de se sauver avant l'arrivée de la lave. Djoug avait raconté que non seulement Djalm avait ruiné les îles en voulant de grandes portes en bois sculpté mais qu'il avait changé le cérémonial pour donner plus de place aux prêtres dès le début ce qui avait causé leur perte. Un apprenti prêtre avait expliqué à Lyanne le déroulement normal de la cérémonie. Dgala ne l'avait pas remarqué mais il existait une petite porte, juste assez grande pour laisser passage à un homme. C'est par cette ouverture que devait se glisser l'enfant marqué avec quelques serviteurs et ainsi de porte en porte. À la dernière, l'enfant marqué passait seul. Par un trou dans la pierre on passait une corde. Il tirait sur la corde quand il avait réussi sa mission et on venait le délivrer en ouvrant les grandes portes devant l'enfant vainqueur. Un événement avait permis à Djalm de changer cela. Lors de la cérémonie précédente, l'enfant était mort malgré sa réussite. La corde s'était coincée et le grand prêtre de l'époque était resté intransigeant. Il avait laissé passer dix jours avant d'envoyer un éclaireur. Pour éviter cela, et comme jamais les annales n'avaient mentionné d'échec, Djalm avait décidé d'accompagner l'enfant marqué pour bénéficier de sa gloire.
Lyanne avait beaucoup accompagné Dgala les premiers jours. Il prenait conscience petit à petit de sa puissance. Avec Djoug, ils prenaient le pouvoir. Au total, la catastrophe avait détruit la classe dirigeante sans détruire les rouages du pouvoir. Auréolé de ses miracles, Dgala était la personne idéale pour incarner une nouvelle ère.
Quand Lyanne avait remarqué l'osmose entre Dgala et son bâton de pouvoir, il avait pris du recul. Il parcourait les pentes de la montagne, s'arrêtant ici ou là pour méditer. Le Pays Blanc était en paix. Tichcou était en paix. Lui seul ne l'était pas.
Ce jour-là, il était sur un rocher, reste d'une éruption ancienne, devant lui, la mer. Il avait choisi le côté opposé à la rade. Personne n'y habitait. Le soleil brillait. Il déploya ses ailes pour se laisser chauffer. Sa perception du monde devint plus riche, plus complexe. Il vit la terre devant lui. Elle était comme lui, pleine d'une pression intérieure. La mer en était affectée. Le temps se contracta. Il vit surgir une nouvelle île à côté, puis une autre après, puis encore une autre. Dans des milliers de saisons, tout un archipel s'étalerait.
Quand il revint à la réalité de l’instant, la mer avait encore cet aspect curieux à ses yeux. Le rougeoiement qu’il avait vu à son arrivée semblait se superposer avec le bleu profond de l’eau. Pour Lyanne, ce fut évident, une nouvelle île de feu et de roches allait naître à cet endroit. Il prit cela pour un signe. Les dragons sont des êtres de feu, le feu du soleil couchant l’avait guidé, maintenant c’était le feu de la terre qui lui donnait la direction. Il se dit : “ Quand jaillira le feu de la terre, je partirai !” En attendant, les ailes largement étalées, il profitait de la chaleur du soleil.

Il rencontra Dgala le soir en redescendant. Il lui fit part de sa vision.
- Ton royaume va s’agrandir. Bientôt de nouvelles terres naîtront à côté de l’île de Fanhieme.
Dgala le regarda bizarrement.
- Comment sais-tu cela ?
- Je regarde et je sens ce qui ce passe. Les forces que tu as bloquées l’autre jour, doivent sortir. Tu leur as interdit un chemin, elles en trouveront un autre. La magie des bâtons de pouvoir est faite pour aider, pas pour bloquer la vie. La vie court et va son chemin. Si tu t’y opposes… tu seras perdant.
- Alors, j’dois pas empêcher ça.
- Tu es libre de faire ou de t’abstenir de faire. Tu peux tout faire, mais est-ce que tout est favorable ? Penses-y à chacun de tes actes. Nombreuses sont les conséquences de nos décisions. Certaines se dévoileront tout de suite, d’autres beaucoup plus tard et d’autres encore plus tard quand nous ne serons plus là. Regarde le bâton de pouvoir que tu as en main. Crois-tu que le roi-dragon qui l’a fabriqué savait que tu t’en servirais ?
Dgala resta pensif.
- Alors on peut rien faire !
- Il est nécessaire de faire pour vivre. On fait du mieux qu’on peut et à chaque geste, petit ou grand, qu’on y pense ou pas, on fait un choix. Reste à faire le plus favorable.
- Ben comment tu fais ?
Lyanne se mit à rire.
- Je fais simplement en suivant ce que je sens, ressens, et en fonction de ce que je crois. Et puis, parfois je demande l’aide du Dieu-Dragon.
- Quand tu le dis, ça a l’air simple, mais moi, j’vois pas tout ça… J’essaye de faire plaisir à ceux qui m’entourent.
- C’est une bonne chose. Pourtant méfie-toi, sache que que tu as besoin de rester en accord avec toi. Si tu t’oublies, tu finiras par être malheureux. Chaque jour, prends un temps. Assieds-toi et pose ton front sur ton bâton. Il t’aidera.
Dgala eut un sourire.
- Ça, j’veux bien, c’est pas trop dur.
Ce fut au tour de Lyanne de sourire.
- Bien, roi Dgala ! Sache que je vais bientôt partir. Tu as trouvé ta place. Ma quête continue.
Dgala se renfrogna.
- J’saurais pas sans toi.
- Tu sais déjà. Comme pour la puissance du bâton, tu ignores ce que tu sais.
- Mais si tu pars qui me conseillera ? Comment j’pourrais faire confiance à ceux que j’connais pas ?
- Grâce au bâton de puissance, tu as appris la langue du peuple. C’est aussi un bâton de vérité. Quiconque le touche en mentant, meurt. Tu auras, malheureusement, l’occasion de l’expérimenter. Quant à ceux qui auront assisté à la scène, auront répandu la nouvelle, cela t’aidera à gouverner...
Lyanne se tourna vers le large, il ajouta :
- Je partirai quand jailliront les roches de feu dans la mer.

samedi 7 juin 2014

Leur arrivée sur l’île de Fanhieme eut lieu le lendemain soir. L’île lui rappela la montagne des Ouatalbi. Elle était haute, le sommet entouré de nuages. Sa forme aurait été symétrique sans une sorte de plaie béante d'où s'échappait un rougeoiement se reflétant dans la couverture nuageuse la surplombant. Les marins à bord de la galère sortaient rarement sur le pont. Ils préféraient le confort intérieur. Lyanne avait compris que la magie qui régnait à bord rendait l'intérieur de la galère plus grand que ce qu'on pouvait en attendre en la voyant.
Dgala avait passé son temps à bord avec Djoug qui lui enseignait les us et coutumes des Waschou. Si l’un était dans la peur de ce qu’il avait à faire, l’autre était atterré de découvrir les lacunes de Dgala pour vivre dans la société Waschou. Il ne savait pas se battre, il ne savait pas les légendes, il ne savait pas les rites, il ne savait pas les salutations rituelles… Il ne semblait même pas diriger ce bâton de pouvoir qu’il traînait partout comme un objet encombrant. Autant Lyanne se déplaçait avec aisance et donnait un sentiment de tranquille puissance, autant Dgala ressemblait à un adolescent qui ne savait pas quoi faire de son corps.
Lyanne était resté sur le pont plat étonnant pour les autres marins par cette absence de mât. Il s’était assis contre le cabestan pour méditer tranquillement. Il avait senti la magie de ce bateau comme on voit les vagues sur la mer. Il avait senti partir la force vers l’île là-bas qui venait surgir sur l’horizon. Il avait compris qu’il y avait un lien entre tous les bateaux des îles Waschou. Les Nasr et la galère du delta de Hunique devaient avoir échappé au contrôle des magiciens.
Alors qu’ils approchaient des côtes, Dgala arriva sur le pont. Il resta un moment en silence.
- J’en ai plein la tête de tout ce que m’a dit Djoug.
Lyanne regarda Dgala qui était resté debout. Il regardait au loin vers l’île. Lyanne ne répondit rien.
- J’chais pas si j’serais capable de faire ce qu’ils veulent…
- Sait-on un jour si on est capable ?
- Quand on a fait ?
- Alors essaye, répondit Lyanne en se levant. Tu peux avoir confiance. Tu possèdes un bâton de pouvoir. Utilise-le quand tu auras besoin.
- Mais j’le saurais quand ?
- Sois sans crainte, tu sauras. Rentrons maintenant. Nous allons bientôt arriver.

Le débarquement avait eu lieu dans une petite crique qui servait de port. Plus loin, une pointe de rochers noirs et acérés coupait la houle venue du large. Lyanne et Dgala étaient sur le pont. Sur la berge un groupe était rangé en un carré parfait. Sur leur droite, des trompes se mirent à sonner. Cela évoqua à Lyanne le son du meuglement du mibur mâle qui veut défendre son territoire. Lui revint en tête le souvenir de sa rencontre avec le maître sorcier Kyll dans les tunnels. Cela le fit sourire.
- Vous trouvez ça drôle ? demanda Dgala que l'inquiétude avait gagné en importance.
- Cela me rappelait un vieux souvenir. J'étais jeune et mon ignorance était grande. La plus grande était de méconnaître la puissance qui m'habitait. Si tu as été choisi, c'est que tu possèdes ce qui est nécessaire. Le rite est l'habillement de la puissance.
Dgala avait maintenant les yeux fixés sur Lyanne qui poursuivit son discours.
- Le vrai puissant est celui qui peut faire, simplement, sans rien ajouter à son faire. Pense à cela quand tu auras à faire.
Les sonneries de trompes devinrent plus complexes, changeant de rythmes et de tons rapidement. Il s'en dégageait une impression d'exaltation et de joie qui toucha Lyanne au plus profond de son être. Le visage de Dgala exprimait ce même sentiment. Avant que la galère n'ait touché terre, Lyanne sentit chez lui combien il communiait avec cette musique.
Une barque s'approcha d'eux. Djoug vint les chercher. On les fit descendre sur un siège manœuvré par les marins qui, eux, allaient et venaient par des échelles de corde. Ce fut une expérience curieuse pour Lyanne que cette impression de se déplacer en l'air sans voler.
Sans l'intervention des marins pour stabiliser son siège, il aurait sûrement fait la toupie. Il trouva l'expérience désagréable. À voir le visage de Dgala à son arrivée dans la barque, il vit qu'elle avait été partagée.
Sur la berge, le comité d'accueil se mit en mouvement pour s'approcher de l'eau. Bientôt, ils joignirent leurs voix au son des trompes. Pour Lyanne, la mélopée fut étrange, agréable à l'oreille mais très inhabituelle. À côté de lui, Dgala respirait bruyamment.
Quand il touchèrent terre, un homme vêtu d'une longue tunique rouge vif, s'avança.
- Tchi... ( Bienvenu à toi qui fut choisi...)
Dgala fut atterré. Il ne comprenait rien. Djoug lui fit la traduction.
Pendant le discours de bienvenue, Dgala glissa dans l'oreille de Lyanne :
- J'sais même pas leur langue... J'y arriverai pas !
Lyanne n'eut pas l'occasion de répondre. L'homme en rouge s'était approché, en disant :
-  Cluncguluk chemolka ramokalga.
Djoug lui dit :
- Il veut voir ton bras, celui avec les traces.
Dgala releva sa manche, découvrant les trois cicatrices. L'homme en rouge, lui prenant le poignet, se pencha pour mieux voir. D'un geste vif, il lui donna un coup d'un bâton en forme de fourche. Ce fut tellement rapide que Dgala ne sentit rien. Puis doucement du sang perla de trois nouvelles plaies qui prolongeaient les vieilles cicatrices. Dans le même temps, la douleur arriva jusqu'à sa conscience. Il sursauta en reculant son bras brutalement. L'homme en rouge tint bon en maintenant fermement sa prise.
- Tlac masour glitsa ventaïa...
Djoug fit la traduction en même temps, preuve pour Lyanne que c'était une prière.
- Que le dieu qui nous a donné le jour et la nuit, la nourriture et l'eau, accueille cette marque comme il se doit. Qu'il agrée cet homme comme intercesseur auprès de lui afin que soit renouvelé le don qu'il nous fait, a nous ses fidèles serviteurs...
Quand l'homme en rouge lui lâcha le bras, trois lignes rouges couraient vers sa main. Se tournant vers les autres, il fit le geste de designer une direction en disant :
- Gatmanou !
Avec un parfait ensemble, le groupe entoura Dgala. Une fois en place, les trompes changèrent de rythme pour une invitation à la marche. Lyanne se retrouva seul avec Djoug.
- Que va-t-il arriver à Dgala ?
- On va le conduire au temple au centre de la montagne et ils vont essayer de lui apprendre le déroulement de la cérémonie. S'ils échouent, le jour ne se lèvera plus. Mais allons...
Djoug, Lyanne et les magiciens des Nasr prirent un autre chemin. Si la procession était partie vers le centre de la montagne, eux prirent un sentier qui grimpait en lacets. Tout en marchant, Lyanne apprit qu'il ne reverrait Dgala qu'à la cérémonie qui aurait lieu dans quelques jours. Face à son étonnement, un des magiciens lui répondit que les oracles avaient sacrifié un animal. Dans ses entrailles, ils avaient pu voir que le moment favorable, où les deux astres seraient là où ils devaient être, arriverait dans cinq jours. D'ici là, il était un hôte, eu égard à sa puissance.
Quand vint le soir, Lyanne voulut s'isoler pour entrer en contact avec les siens. Il avait à peine fait trois pas dans le jardin qu'il repéra les gardes qui le surveillaient. Ça le gêna d'autant plus qu'il avait une faim de dragon. Il rusa pour les semer. Il avait repéré un petit bois aux arbres serrés. Passant entre les troncs, il disparut à leurs yeux. Dans ce sous-bois, la lumière était presque absente. Lyanne y trouva le meilleur des camouflages. Il entendit les gardes s'interpeller. Ils se répartirent autour du bois puisque Lyanne finirait bien par sortir. Il ne firent pas attention au curieux oiseau qui s'en envola, tout occupés qu'ils étaient, à scruter la nuit.
Lyanne ne trouva pas de gibier sur les pentes de la montagne. Vue de haut, elle ressemblait encore plus à celle des Ouatalbi. Il sentit comme une pulsation venant du fond du cratère. Il avait trop faim pour en chercher la cause. Il vit un troupeau près d'une bâtisse. Il fut déçu en s'approchant. C'étaient des bêtes d'élevage. Ne voulant pas attirer l'attention sur sa présence, il les ignora. Il survola la mer pour aller vers un autre endroit, quand un mouvement dans l'eau le détourna. Quelque chose la tourmentait. Il fit un piqué et referma ses serres sur un poisson. Plus gros qu'un homme, l'animal se débattit rendant son vol chaotique. Lyanne dragon le laissa tomber sur une plage de cailloux. Quand il atterrit, le poisson avait cessé de bouger. Il se régala de cette viande venue de la mer. Comme la petite crique où il se trouvait était déserte, il en profita pour entrer en contact avec le prince-majeur. Ce fut bref. Tout allait bien.
Son retour fut aussi discret que son départ. Il rejoignit sa chambre, suivi par les gardes soulagés de le voir.
Ce fut Djoug qui lui en parla le lendemain. Lyanne sentit que sa liberté d'aller et venir était limitée. Il parla de méditation et de prière dans la nature.
- Et quel Dieu priez-vous ?
- Votre langue ignore le mot pour le désigner. Nous disons : " Graph ta cron" quand nous le professons.
- Est-il plus fort que le dieu des Waschou ?
- Mes connaissances sont limitées, seigneur Djoug. Mais est-ce une bonne chose que de comparer les dieux ? Mon dieu a mis sur mon chemin l'enfant marqué, ce qui vous a permis qu'il soit présent pour le grand jour que vous allez fêter. Y voyez-vous une opposition ?
Djoug ne répondit pas, préférant changer de sujet.
- Dès demain, vous verrez arriver les galères de toutes les îles. C'est un grand spectacle. Un serviteur vous guidera là où vous verrez le mieux.
Lyanne remercia Djoug de sa sollicitude, tout en se demandant pourquoi on préférait l'éloigner.
Le lendemain, alors qu'il partait en suivant le guide, il vit Dgala à un carrefour. Avant que quiconque ait put dire quelque chose, il l'avait rejoint
- Ton enseignement se passe-t-il bien ?
- J'crois que j'ai la tête qui va exploser. Mais faites attention à vous ! L'mec en rouge qu'est l'grand chef, dit à tout l'monde qu'vous êtes dangereux...
Un serviteur s'inclina profondément devant Dgala :
- Gôtrem ferga strilm chor schorba
- Voilà, ça r'commence... reprit Dgala, faut qu'je m'dépêche !
- Fais ce qui doit être fait et que toujours à ton esprit soit présent que la puissance est tienne.
Ayant dit cela, Lyanne rejoignit le guide dont le visage trahissait le mécontentement.
Ils marchèrent une bonne partie de la matinée, passant par des chemins parfois escarpés. Lyanne remarqua la volonté évidente de son guide de lui rendre le retour impossible. Il en déduit que la cérémonie devrait avoir lieu aujourd'hui ou cette nuit. Ils arrivèrent à un escarpement surplombant la ville. Lyanne reconnut au-dessus de lui le bord du cratère tel qu'il l'avait vu lors de sa nuit de chasse. En bas les maisons de la ville avec une grande construction massive adossée à la montagne, descendaient jusqu'à la crique d'arrivée. Déjà plusieurs galères y avaient jeté l'ancre. Plus loin en mer, arrivant de toutes parts, une multitude de bateaux faisaient route vers l'île.
- Vour voilliezzz, maître étraaaanger, le speccctaaacllle est suuupeerbe, baragouina le serviteur.
- Très bien, répondit Lyanne. Me voilà aux premières loges...
Le guide s'inclina et se retournant, se mit à donner des ordres à ceux qui suivaient. Lyanne vit qu'ils avaient monté de quoi rester plusieurs jours. Il ne fit aucune remarque. Il les laissa pour faire un tour du promontoire. Il découvrit des grottes peu profondes avec des signes d'occupation temporaire comme des restes de feux ou du bois empilé. Plus loin surplombant l'à pic, un rocher plat, Lyanne y vit une invitation à s'y asseoir. Ce qu'il fit, mettant son bâton de puissance en travers de ses genoux.
En bas les galères accouraient laissant derrière elles, des sillages presque droits. Ce signe vint conforter Lyanne. C'était pour ce soir quand se lèverait la Lune dans son premier quartier. Il eut une pensée pour Dgala, espérant qu'il trouverait sa place.
Le temps passa. Lyanne méditait. Le guide s'impatientait mais n'osait pas le déranger.
Lyanne l'entendit s'éloigner au bout d'un moment. Puis lui parvinrent des bruits de repas. Les dernières galères entrèrent dans la rade alors que le soleil était encore haut. Tout fut calme. Le silence n'était troublé que par le chant des oiseaux et les « cri-cri » des insectes.
Quand la lumière baissa, Lyanne vit le lever de la Lune. Ce fut à ce moment-là qu'on entendit les trompes.
Lyanne eut la satisfaction d'avoir raison. On l'avait éloigné. Il ne bougea pas, laissant ses gardiens scruter ses réactions.
Le son des trompes chuta brusquement quand la procession entra dans le temple. Face au soleil couchant, il contempla le disque solaire s'enfoncer dans la mer en donnant au ciel parsemé de nuages des couleurs violines.
Alors que disparaissait l'astre solaire, le son des trompes s'arrêta. Lyanne ignorait ce que devait faire Dgala, pourtant il pensa à lui en cet instant précis. Il l'imagina s'avançant seul, en grande tenue. Était ce dans un couloir ou dans une grande salle ? Quelque part il y avait quelque chose ou quelqu'un qu'il valait mieux laisser dormir.
La nuit s'installa. Il y avait eu trois sonneries de trompes. Annonçaient-elles l'ouverture de portes ? À moins qu'elles ne signifiaient une autre phase de la cérémonie ? Lyanne ne savait pas. Il ressentait juste la montée de la puissance.
Derrière lui, les serviteurs s'étaient réunis et semblaient psalmodier quelque chose. Quand le ciel fut devenu noir, retentit une nouvelle sonnerie, plus longue, plus solennelle. Lyanne eut la vision d'un Dgala tremblant de peur, s'avançant seul dans la nuit, serrant son bâton de puissance comme un enfant serre sa peluche.
C'est à ce moment-là que la terre trembla. La panique s'empara des gens de Waschou qui tombèrent à genoux en levant les mains au ciel. Ils se mirent à implorer la clémence du dieu qui se réveillait. Lyanne, dès la première secousse, s'était laissé tomber dans le vide et déployant ses ailes, prit de la hauteur. Devant les yeux d'or du dragon le monde montra toute l'étendue des forces en présence. Si l'eau était tranquille, l'air vibrait. Le feu et la terre semblaient entrer en ébullition. Lyanne pensa à Dgala. Survolant le cratère toujours vibrant, Lyanne chercha la présence de son compagnon. En scrutant le fond de la dépression, il vit une petite sphère de tranquillité dans un maelström de forces incontrôlées. Il plongea tout en invoquant la puissance qui était sienne, héritière et continuatrice de toutes celles de tous les rois-dragons. Il sentit la réponse de bâton de puissance que tenait Dgala. Se dirigeant sur elle, il atterrit à côté de Dgala au moment où la terre cessant de trembler, commença à se soulever. Posant son bâton de puissance il ordonna et, tout en hurlant de ses grondements, la terre obéit. Lyanne et Dgala devinrent comme des rochers face à un tsunami.
- ORDONNE, cria Lyanne à l'oreille de Dgala qui répondit par un regard terrorisé.
- ORDONNE ! TU ES LE MAÎTRE !
- Ça suffit, murmura Dgala.
- PLUS FORT !
- STOP !
Il y eut un instant de calme et de silence. Dgala regarda Lyanne, les yeux pleins de fierté qui se mua en panique quand reprirent les grondements souterrains. Autour d'eux, tout explosa dans un fracas de fin du monde.
Jaillit le feu poussant la roche puis vint la roche en feu. Si Lyanne était encore debout, Dgala était à quatre pattes, les mains sur les oreilles. Autour d'eux, tout était rouge et or.
- DEBOUT, DGALA ! hurla Lyanne.
Dgala le regarda sans se relever. Devenant dragon, il ajouta d'une voix forte :
- TU AS LA PUISSANCE QUI EST TIENNE ET CELUI, DONT TU TIENS LE BÂTON, TE PRÊTE LA SIENNE. ORDONNE ET LES ÉLÉMENTS T'OBÉIRONT.
Dgala regarda autour de lui le mur de roches en feu qui avait ondulé aux paroles de Lyanne.
Regardant Lyanne-dragon, il se mit debout. Prenant son bâton de puissance à deux mains, il le tendit vers le fleuve de feu :
- PAR LA PUISSANCE QUI EST MIENNE ET PAR LA FORCE DE CE BÂTON, JE TE L'ORDONNE, QUE LA TERRE REDEVIENNE FROIDE ET QUE LE FEU REPOSE EN DESSOUS !... QUE CESSENT CES MOUVEMENTS ET CES GRONDEMENTS.
Autour la roche devint noire et si les grondements persistaient, ils allaient decrescendo. Ils étaient maintenant dans une grande caverne, à taille de dragon.
- Tu es vraiment un dragon ? demanda Dgala à Lyanne quand le silence se fit.
- Je suis aussi un dragon, et même le roi-dragon pour ce temps, répondit Lyanne reprenant sa forme humaine. Et maintenant quel est ton désir ?
- Sortons d'ici.
Lyanne montra la paroi de roche à Dgala qui fit un grand sourire. Il toucha la paroi noire de son bâton blanc, la faisant littéralement exploser. Ils découvrirent un tunnel où s'écoulait encore un peu de lave. Dgala lui ordonna de se figer.
Ils progressèrent vers la source d'air frais qu'ils sentaient, laissant derrière eux un noir tunnel qui venait des profondeurs. Ils débouchèrent quelques centaines de pas plus loin au milieu de ce qu'il restait de la ville. Rares étaient les constructions qui étaient encore debout. Le flot de lave avait ouvert une brèche sur la droite incendiant tout ce qu'il n'emportait pas. C'est à cette lumière qu'ils découvrirent l'ampleur de la catastrophe.
Dgala tourna des yeux agrandis par l'horreur vers Lyanne.
- C'est moi qu'a fait ça ?
- Tu as arrêté ça, répondit Lyanne. Le coupable est le dieu de cette montagne. Et les responsables sont ceux qui ont laissé seul un enfant comme toi face à des forces qui lui étaient inconnues.
- Mais j'aurais dû...
- Dû quoi ? l'interrompit Lyanne, savoir ce que les savants ignoraient, prévoir l'avenir, connaître tout du monde et de ses forces...
- Non, mais je devais le faire.
- Qui t'a dit que c'était ton devoir ?
- Djalm, le grand prêtre, celui qui était en rouge.
- D'où savait-il cela ?
- J'ai été marqué alors je devais le faire.
- Comment expliquait-il que tu étais où nous nous sommes rencontrés ?
- La faute en revient à ma mère qui ne voulait pas que j'aille ici pour être enseigné.
- Qu'a-t-elle fait ?
- Elle a fui avec moi quand j'étais un bébé. Mais le bateau a coulé. Nul ne sait comment j'ai survécu. Djalm savait que j'étais encore en vie car ma bougie ne s'était pas éteinte.
- Que t'a-t-il dit ? Quels devaient être les signes de ton échec ?
- Le dieu se réveillerait et détruirait tout.
- Précise !
- Les étoiles devaient tomber sur la terre en répandant la mort sur tout le monde. La lune aurait dû s'éteindre ainsi que le soleil, et la nuit éternelle aurait fini de consommer les hommes.
- J'ai vu d'autres signes que ceux que tu me décris.
- Oui, mais peut-être que ton arrivée a tout bloqué et que sans ta venue ça aurait été la fin du monde.
- Peut-être aussi que le grand prêtre qui devait savoir, était un ignorant.
- Tu crois ?
- Savait-il que la montagne allait exploser ? Savait-il qu'un fleuve de feu allait couler ? Savait-il que je devais être près de toi ? Ce qui est venu est différent de son attente. S'il avait su, il aurait pris des mesures différentes et agi différemment.
Lyanne demanda à Dgala de lui décrire le temple et la cérémonie.
- On a commencé devant le temple, tout le monde était réuni autour de la terrasse où nous étions...
- Nous ?
- Oui, les prêtres et moi, puis les trompes ont sonné. Alors on s'est mis en marche. Les grandes portes du temple étaient ouvertes. On a monté les marches. Je suivais Djalm, et Djoug m'accompagnait pour me traduire ce que je ne comprenais pas. Y'avait une grande salle mais plus grande, beaucoup plus grande que celle du seigneur Etouble. Au fond y'avait encore des portes, plus belles que les premières tout en bois sculpté, j'avais jamais rien vu de pareil. Les trompes ont encore sonné. On les a ouvertes. Djalm semblait très fier et Djoug m'a dit que c'était parce que c'était lui qui les avait fait faire. Derrière y'avait encore des portes mais là, elles étaient en pierres...
- Juste derrière celles en bois ?
- Ben oui. Ça m'a étonné. Ya des tas de gens qui se sont précipités avec des tas de cordes et des leviers. Ils les ont fait basculer vers l'arrière. Puis ils ont mis des marches pour que je puisse marcher dessus. Alors l'grand prêtre il a voulu que j'passe le premier. J'avais pas trop envie mais c'était mon devoir. Alors j'ai serré mon bâton et j'suis monté. C'était juste une autre salle, enfin, j'croyais. Quand ils sont montés avec les torches derrière moi, j'ai vu qu'y'avait encore des portes de pierre.
- Les mêmes ?
- Tout pareil, les trompes, les cordes, les torches pour trouver encore des portes...
- Les troisièmes ?
- Ouais et on a refait pareil mais là c'était pas pareil. Y z'avaient tous peur. Djoug m'a dit: « maintenant c'est à toi. Vas-y. Fais ce que tu dois faire ». Djalm s'est avancé. Il m'a dit quelque chose, un ordre vu l'ton qu'il employait, mais j'ai pas compris. Djoug m'a dit : « Il veut que tu laisses ton bâton, mais avance et il ne pourra rien faire. » J'ai vite monté les marches que Djalm puisse pas m'arrêter. J'l'ai entendu crier mais j'ai continué. Quand j'me suis retourné, Djoug s'en allait et Djalm faisait des signes.
- Que t'avait-on dit ?
- J'devais m'avancer jusqu'à ce que je vois les étoiles. J'avais juste une torche et mon bâton. Quand j'suis arrivé au bout des portes, c'coup-ci j'étais tout seul. Ça faisait pas beaucoup d'lumière. J'ai vu un tunnel dans la paroi. J'ai rien vu d'autres, ni monstres, ni génies ni rien, juste c'trou noir...
Lyanne regarda Dgala qui manifestement réfléchissait. Il reprit son récit après quelques instants.
- ... En fait c'tunnel que j'ai pris, il était comme celui qu'on a emprunté pour sortir.
- Était-ce le même ?
- Ça, j'sais pas. Mais il y ressemblait beaucoup. J'suis arrivé à l'air libre et j'ai vu les étoiles. Alors j'ai dit la prière qu'ils m'ont fait répéter des dizaines de fois. Ça a rien fait. J'ai un peu attendu et puis j'ai fait demi-tour. C'est à c'moment qu'la terre a commencé à trembler et toi, t'es venu à mon secours.
Lyanne allait répondre quand il vit des torches un peu plus bas.
- Regarde, il y a des gens qui cherchent. Allons voir si nous pouvons les aider.
Quand il vit devant lui de la lave encore chaude, Dgala se tourna vers Lyanne :
- Je peux ?
- Tu peux !
Étendant son bâton vers la lave, Dgala lui ordonna :
- Deviens froide !
Lyanne reconnut un souffle glacé comme savent en faire les dragons. Le rougeoiement cessa dans un bruit de sifflements. Dgala continua à descendre ce qui avait été la rue de la ville en ordonnant aux flammes, aux incendies, aux roches de refroidir. Il y prenait un plaisir évident. Des gens sortirent derrière eux, regardant avec étonnement ces deux silhouettes éteignant les lueurs des incendies. Arrivé à la mer, Dgala se retourna. Il avait le sourire de celui qui a réussi son épreuve. Son sourire se figea quand il vit la foule. Tous les survivants étaient là et l'acclamèrent. Une forme se détacha du groupe, un des rares porteurs de torche. Dgala figé, ne savait pas quoi faire. L'homme s'approcha. Il reconnut Djoug.
- Tu es l'enfant marqué ! lui dit-il. Celui qui saura conduire le peuple.
Derrière se massèrent tous les autres. Une première voix cria :
- DGALA ROI !
Ce fut repris par un voix masculine, puis une autre, puis une dizaine. Les différents groupes se synchronisèrent et ce fut une clameur intense :
- DGALA ROI ! DGALA ROI ! DGALA ROI !
Dgala regarda Lyanne affolé. D'autant plus affolé que Djoug s'approcha et fit la génuflexion devant lui. Dgala s'adressa à Lyanne :
- Mais j'veux pas ! Dis-leur que j'saurais pas.
Lyanne lui sourit.
- Il est des moments dans la vie où les choix sont déjà faits. Tu es le maître de cette montagne. Tu t'es montré comme celui que tu es. Et cela est pour tous ces gens ce que doit être un roi. Maintenant sois celui que tu es.
Dgala se tourna vers Djoug qui, à genoux, présentait, posée sur ses deux mains, la dague aux germes pourpres qu'il avait d'habitude à sa ceinture. Il prit la dague et la souleva sous les acclamations pour l'offrir à Dgala.