vendredi 24 avril 2015

- Où est-on ?
- Ce lieu s’appelle le Château d’Éstresses.
Les deux dragons étaient couchés dans la cour d’un ancien fort. Le fort d’Éstresses avait connu son heure de gloire lors du règne du grand-père du grand-père de Moayanne. Il tenait la frontière du royaume, fermant le passage vers les hautes terres. Devant eux, à travers les ouvertures dans le mur ruiné, on voyait la rivière qui s’étalait en de calmes méandres. Dans la lueur de ce soir printanier, ils s’étaient mis à l’abri des regards. Moayanne l’avait conseillé à Lyanne après leur dernière intervention dans la plaine pour qu’elle puisse se reposer. Le château était tabou pour les gens de la région. On le disait hanté par le spectre du roi de l’époque, venant y rechercher le repos qu’il n’avait pas connu de son vivant. On l’avait appelé le roi cavalier, celui qui jamais ne descendait de sa monture, allant toujours par monts et par vaux pour faire la guerre et consolider ses frontières. Le fort d’Éstresses était le seul endroit qui n’avait pas connu la guerre de son vivant. Formidable machine de guerre à son époque, il avait inspiré assez de craintes pour que personne n’ose venir l’attaquer.
La nuit était tombée tranquillement. Moayanne était fatiguée. Ses muscles de vol n’avaient jamais autant travaillé. Et puis, elle avait craché le feu et la glace de nombreuses fois.
Lyanne la regardait somnoler doucement. Ses paupières lentement descendaient sur ses yeux d’or. Brutalement dans un éclair blanc, il vit qu’elle était redevenue simple reine humaine. Elle reposait sur l’herbe douce qui poussait là. Pour la protéger de la fraîcheur de la nuit, il souffla le chaud sur les murs environnants. Il l’envia. S’il se reposait, il n’avait pas besoin de dormir. Il pensa que les reines-dragons différaient des rois-dragons. Il reprit sa forme d’homme lui aussi. Il s’allongea non loin d’elle et doucement attira sa tête qu’il posa sur ses jambes. Moayanne avait un côté enfantin sur ses traits pendant qu’elle dormait qui émut Lyanne. Il repensa à la ville et aux enfants avec qui il avait joué. Il évoqua Miasti et Sabda. C’est emplie de nostalgie que la nuit s’écoula doucement. Moayanne bougeait parfois mais ne quittait pas son “coussin”.
La lune se leva éclairant d’une lumière blanche la cour du fort. Le diadème de Moayanne brillait de mille feux. Lyanne détailla les décorations. En son milieu trônait un minuscule dragon blanc aux yeux d’or. Celui-là ne dormait pas. Lyanne se concentra dessus :
- Tu es éveillé, dragon blanc aux yeux d’or.
- Tu le sais bien, toi qui es rouge dragon, répondit le petit dragon.
- Alors elle est bien protégée.
- Oui et tu es là. Tes paroles et tes gestes furent précieux. Il y a longtemps que j’avais oublié tout cela.
- Tu es le dragon-oiseau de feu de la légende.
- Tu devines bien, dragon rouge. J’ai été plusieurs fois lié à une humaine mais voilà la première fois que je-nous sommes entiers.
- Ton autre toi dort-elle ?
- Oui, elle en a encore besoin. Bientôt nous aurons la force des dragons. Il nous manque pourtant quelque chose. Je le sens sans pourvoir savoir ce qu’est ce manque.
- C’est parce qu’un manque existait en moi que je suis parti à la recherche de ce qui me manquait. Quand je la vois, je crois que j’ai trouvé.
- Je sens notre commune nature. Pourtant, je sens en toi ce que je ne sens pas en moi. Tu possèdes l’histoire et moi je viens d’advenir.
- Il est des choses que doivent savoir les dragons. Demain je vous-nous conduirai à travers les Montagnes Changeantes à la caverne où est inscrit le savoir des dragons. Tu-vous mettrez les griffes dans les traces et tu-vous saurez ce que doit savoir une reine-dragon.
- Tes paroles réchauffent. Nous ferons comme tu as dit. Veux-tu que nous partions tout de suite ?
- Restons ici un moment encore. Quand le soleil se montrera nous partirons.
Lyanne caressa les cheveux de Moayanne qui bougea dans son sommeil. Elle se retourna, mettant le petit dragon blanc hors de la vue de Lyanne.
Le temps s’écoula ainsi tranquillement. Un oiseau de proie nocturne hulula. Il le vit passer rapide et silencieux. Leurs regards se croisèrent un instant. Lyanne vit la détermination de l’oiseau. La chasse n’avait pas été bonne jusque-là, mais l’aube était encore loin.
La lune se cacha sur la fin de la nuit, laissant le paysage dans une obscurité quasi totale. C’est alors qu’il vit l’ombre claire approcher. Fouillant les différents plans de la réalité, Lyanne repéra bien vite cet homme en armure ancienne marchant difficilement sur ses jambes arquées.
Ainsi ce n’était pas qu’une légende.
La silhouette hésita un peu et marcha franchement vers le couple qui se reposait. Lyanne ne bougea pas. Alors que l’épée de l’ombre se levait pour frapper, Lyanne décapuchonna son bâton de pouvoir. Le mouvement du fantôme se figea.
Une voix rauque s’éleva :
- Qu’as-tu fait là ?
- J’ai juste évité une injustice.
- Personne, tu entends ! PERSONNE n’a le droit de venir troubler mon repos !
- Est-ce un repos, roi cavalier ?
L’ombre eut un cri inarticulé. Moayanne se réveilla. Elle se redressa, regarda Lyanne, le fantôme, de nouveau Lyanne avec un air interrogatif.
- Voilà ton ancêtre, reine-dragon.
La voix d’outre-tombe s’exclama :
- Qui êtes-vous, vous qui ne semblez pas me craindre ? Quel est ce titre ?
Moayanne qui était encore assise, se mit debout. Sur sa tête, le diadème devint couronne, brillante comme un soleil miniature.
Le roi cavalier cria :
- Ma couronne, tu portes ma couronne ! Je ne l’ai jamais vu briller comme cela, même quand je suis redescendu du Frémiladur, elle ne rayonnait pas autant. Es-tu la reine de ce temps ?
Moayanne bomba le torse :
- Je suis la reine-dragon ! Celle qui s’est unie avec l’oiseau de feu comme le fit notre première reine en son temps et même mieux. Je suis oiseau de feu.
L’ombre du roi cavalier baissa son épée, et mit genou à terre :
- Loin de moi l’idée d’effrayer celle qui est de mon sang et de ma descendance.
Il se tourna vers Lyanne.
- Mais qui est celui-ci qui ne semble ni te craindre, ni me craindre !
- Il est roi-dragon, comme je suis reine-dragon. Il est oiseau de feu comme je suis oiseau de feu. Il est la force qui m’a manqué et a guidé mes pas quand j’ignorais où les diriger.
- Il n’est pas d’ici !
Moayanne ferma les yeux un instant. Le dragon aux yeux rouges brilla plus intensément sur la couronne. Quand ses paupières se soulevèrent, ses pupilles avaient les mêmes reflets rouges.
- Il est celui qui me guidera vers qui je suis.
Son regard qui semblait empli de flou, se focalisa sur l’ombre du roi cavalier :
- Mais toi, qui fus mon ancêtre et dont le nom est glorifié pour tes hauts faits d’armes, pourquoi hantes-tu ce lieu ?
- Quand je suis descendu du Frémiladur, couronné comme tu le fus, j’ai pris la suite de mon père comme le veut la tradition. Notre royaume était petit et faible en ce temps-là. Mon père, tout occupé à ses plaisirs et à ses maîtresses, avait délaissé ma mère. J’ai grandi entouré de demi-frères et de demi-soeurs. Ils savaient flatter mon père pour en tirer toutes sortes d’avantages. Nombreux furent les domaines donnés aux concubines et à leurs enfants pour les remercier et les faire tenir tranquilles. La cour, à cette époque, était un endroit sans foi ni loi. Ma mère craignait pour moi. J’ai su plus tard qu’elle avait raison de craindre. On a plusieurs fois tenté de me faire disparaître. Je n’ai dû mon salut qu’à ma rapidité et à ma force… et à mon garde du corps. On disait de lui qu’il avait été un des derniers descendants des hommes-oiseaux venus des contrées lointaines. Sa rapidité et son instinct m’avaient été précieux. Il m’avait enseigné tout cela. À l’époque où mes demi-frères rêvaient encore de batailles héroïques, tout en se battant avec leurs jouets de bois, je connaissais déjà l’art de la guerre et de la trahison. Je n’ai vraiment pris la dimension de la haine qui m’entourait qu’à la mort de ma mère… assassinée avant qu’elle n’ait pu donner naissance à un autre rejeton. À partir ce jour, la vie pour moi ne fut qu’errances et violences. J’ai fui le château de mon père et je n’étais pas dans le convoi quand il partit pour le Frémiladur afin de régénérer la couronne. J’avais traversé les marais et vaincu ceux qui voulaient m’empêcher de passer. C’est dans cette funeste épopée que je perdis mon guide et mon maître d’armes. Le vieil homme descendait bien des hommes-oiseaux. J’ai vu son âme s’envoler comme un faucon vers le soleil levant. Il est mort en me défendant une dernière fois. C’est lui qui m’a dit avant de mourir que tout avait un prix, même ma violence et ma colère. Ce jour-là, je n’ai pas compris. Je vivais pour me venger de ceux qui m’avaient dépouillé de mes droits, de ma mère, de mon père, de mon royaume.
À l’évocation de sa vie, l’ombre avait pris plus de consistance. On devinait maintenant certains détails de son armure et de ses armes.
- J’ai escaladé le Frémiladur une journée avant que n’arrive le convoi officiel. La terre tremblait tout le temps et les fumées étaient âcres. Je savais où aller, j’avais reçu l’enseignement des sages du palais. Mon sang s’est mis à bouillir quand j’ai vu mon père, vieillard claudiquant, s’approcher du bord du cratère accompagné de ces bâtards que je haïssais. J’ai alors reconnu Bedritch, son préféré ! Il avait déjà revêtu le costume royal. N’y tenant plus, j’ai sauté au milieu d’eux en hurlant le cri de guerre des rois. Bedritch a tellement eu peur, qu’il en a laissé tomber la couronne. Nous avons tous assisté impuissants, à sa chute dans le cratère. Tout le monde s’est précipité pour la regarder tomber. Elle rebondissait de pierre en pierre et il y eut un éclair quand elle toucha la lave. Mon père se mit alors à hurler de me tuer. Je me suis retrouvé seul face à la dizaine de ses bâtards, l’arme à la main. La rage m’a pris. Une rage noire qui a obscurci ma pensée et fait rougeoyer mes yeux. Ce fut le hurlement de mon père qui me fit sortir de cette transe. “LÀ ! LÀ !” hurlait-il en me montrant. Alors je vis les survivants mettre genou à terre et poser les armes. Il me fallut un moment pour comprendre que je portais la couronne et que j’avais occis la plupart de mes bâtards de frères. J’ai rangé mon arme et me suis retourné pour descendre. Mon instinct m’a fait éviter le coup qui se voulait mortel. J’étais plus affûté que mon épée et mon assaillant ne survécut pas. Je l’ai précipité dans le cratère et j’ai égorgé tous les autres. Quand j’ai eu accompli ma vengeance, mon père me regardait les yeux agrandis par l’horreur. Il ne bougeait plus. Quand je me suis approché, j’ai constaté sa mort. J’ai poussé un cri de joie. Vengée ! Ma mère était vengée !
C’était presque un cri qui était sorti de la gorge du spectre qui devenait de plus en plus visible. Il était grand et son armure, bien que finement décorée, portait les traces de nombreux coups.
- Je suis arrivé seul au camp en bas. Quand ils m’ont vu, les courtisans sont restés figés. Le chef de la garde qui était un des frères d’une des maîtresses de mon père, hésita un instant. Il n’avait pas sorti la moitié de son épée du fourreau que son second l’avait transpercé en criant : “ Longue vie au roi !” Tous les gardes royaux se rangèrent derrière lui en un cri unanime. C’est ainsi que commença mon règne. Quand je suis arrivé à la forteresse blanche, le convoi ne comptait plus que des fidèles. Les autres avaient fui ou étaient morts. Il me fallut un an pour nettoyer le royaume et puis je me suis intéressé à nos voisins qui avaient profité de la faiblesse de mon père pour arracher des pans entiers de ma terre. J’ai fait construire ici mon premier fort. À lui seul, il a valu une armée. Ceux de l’autre côté de la frontière n’osèrent jamais venir l’attaquer. Les autres forts comme celui-ci, furent mes camps de base pour reconquérir mon royaume dans ce qu’il aurait dû être. Quand mon attention se tourna vers la vallée que vous voyez là-bas, j’ai vu arriver une ambassade. Quelle ne fut pas ma surprise d’y trouver la plus belle des femmes. Le roi de ce royaume, sans descendant mâle, me proposa sa fille et le royaume à sa mort. Voilà pourquoi la guerre n’entra jamais sur ces terres.
Devant Moayanne et Lyanne se tenait maintenant un guerrier au regard rougeoyant et aux traits farouches. Lyanne jugea la qualité de ses armes d’un œil expert.
- Mon règne n’était pas terminé. J’ai continué tant que j’ai pu à repousser les limites de mes terres. Celle qui était devenue mon épouse, se révéla une reine merveilleuse. Elle organisa le royaume, le commerce, fit construire routes et auberges. Elle parsema le pays de nombreuses petites garnisons qui assurèrent la sécurité. La prospérité suivit. Pendant ce temps, je me battais au nord. Dans une sombre forêt enneigée, j’y ai fait la rencontre d’une femme. Elle n’a pas tremblé à notre approche. Elle a même guéri ceux des nôtres qui étaient blessés. Nous nous sommes arrêtés quelques jours. Notre groupe avait été séparé du reste de l’armée. Nous allions repartir quand elle m’a pris le bras et m’a dit : “Si tu pars, tu connaîtras la mort demain”. Je l’ai regardée. J’ai haussé les épaules. Nombreux étaient ceux qui m’avaient prédit cela. J’allais monter en selle, quand son regard m’a arrêté. Ses yeux étaient deux puits vertigineux. “Tu ne crains pas la mort. Je le sais. Mais ton âme est toujours en guerre et tu ne connaîtras pas le repos ! Reste et découvre la paix ou pars et tu connaîtras l’errance éternelle, à moins que tu ne rencontres le messager des dieux!”. J’ai de nouveau haussé les épaules et je suis reparti. L’embuscade nous attendait au passage du col. J’ai été le dernier à tomber. Je suis mort en voyant mes troupes monter à l’assaut. Ce sont eux qui ont ramené ma dépouille au palais. Mais moi, j’étais devenu spectre. Les paroles de la femme me sont revenues en mémoire. J’ai retrouvé sa baraque. Elle m’a regardé avec ses yeux qui voyaient ce que les autres ne voient pas. Elle m’a dit : “Cherche un lieu où règne la paix et apprends la paix”. C’est à cause de ces paroles que je suis venu ici.
Lyanne regardait le roi cavalier qui semblait avoir retrouvé toute sa matérialité.
- As-tu trouvé la paix ? demanda Moayanne.
- Depuis des lunes et des lunes, vous êtes les premiers à ne pas fuir quand j’approche.
- Tu fais partie de mon histoire, roi-cavalier. La fuite est un acte inconnu pour une reine dragon. Tu es celui qui fit le royaume dont j’hérite. Sois remercié pour cela.
Le roi-cavalier eut un frémissement. Lyanne, debout, regarda Moayanne et le roi-cavalier.
- La reine-dragon est jeune et doit encore apprendre. Elle ignore qu’elle est messagère du Dieu-dragon. Bientôt elle saura cela. Le soleil va apparaître, roi-cavalier. Notre présence ici est signe que tu vas connaître le repos. Le temps d’aujourd’hui est. Le temps d’hier a disparu. Seules nos mémoires le gardent.
- Le  roi-dragon a raison. Le royaume que tu as conquis, je le garderai et je l’embellirai. Tu as connu la guerre, maintenant connais la paix. Je ferai de ce lieu un mémorial.
Le regard du vieux roi se remplit de panique :
- La paix… Je ne sais même pas ce que veut dire ce mot.
Moayanne lui toucha la main :
- Tu vas apprendre...
Les rayons du soleil émergèrent dans la vallée. Ils illuminèrent la rivière et comme un feu liquide se répandirent jusqu’au fort d’Éstresses. L’armure se mit à flamboyer prenant ces teintes bleu-orangé qu’on ne voit qu’au lever du soleil. Devant la violence du phénomène, les yeux de Lyanne se recouvrirent de leur membrane de protection, lui rendant son aspect de rouge dragon. Moayanne redevint dragon blanc. Quand le phénomène cessa, le roi-cavalier avait disparu. Son équipement formait un tas aux pieds des dragons.
Moayanne se pencha :
- Regarde ! dit-elle à Lyanne. Une épée d’obsidienne.
Lyanne examina la trouvaille de Moayanne. Il se souvint de la légende que Talmab avait racontée, il y a si longtemps.
- Pourrait-elle être l’épée de Stien ? interrogea-t-il.
- On a perdu sa trace à l’époque des conquêtes du roi-cavalier, répondit Moayanne. C’est l’épée du premier roi, celui qui amena l’oiseau aux plumes d’or à la reine. Je pensais cette légende inconnue en dehors du royaume.
- Elle me fut racontée, il y a fort longtemps par celle qui me traita comme son fils. Quel est ton désir pour elle ?
- Qu’elle repose ici où repose le roi-cavalier.
- Alors regarde, dit Lyanne.
Il fit une glace aussi transparente que l’eau, y enfermant, pièce après pièce, tout ce qu’avait porté le roi cavalier. Pour finir, il mit l’épée d’obsidienne là où aurait été la main, si l’armure avait été habitée.
Il redressa le bloc transparent et Moayanne sursauta en voyant devant elle, la silhouette du roi-cavalier. Bien que vide, l’effet était saisissant. Elle mit la main sur la surface glacée. Elle regarda Lyanne :
- Comment une telle matière peut-elle exister ? Elle semble insensible à ma chaleur.
- Cela fait partie de ce que tu dois apprendre, reine-dragon. Viens avec moi, dit Lyanne en prenant sa forme de dragon.
- C’est impossible, répondit Moayanne. Il me faut rejoindre les miens au pied du Frémiladur. Voilà trop longtemps que je suis partie.
Lyanne eut un petit rire.
- Sois sans crainte… Nos raccourcis ont aussi cet avantage de passer à travers la trame du temps. Pour que tu puisses sauver Horas la belle, j’ai traversé un des ruisseaux du temps. Nous sommes arrivés devant Horas la belle, avant ton départ du Frémiladur. Nous arriverons à temps pour que Savalli soit rassuré et avec lui, tous les autres.
Lyanne se mit en position de décollage :
- Maintenant, le temps est venue pour toi de découvrir tout de toi.
Ayant dit cela, il donna deux vigoureux battements d’ailes qui le propulsèrent loin dans le ciel. Moayanne le regarda partir. Devait-elle le suivre ? Elle hésita un instant, un tout petit instant et décolla à son tour. Se découvrir : l’idée lui sembla passionnante, risquée mais passionnante.

samedi 11 avril 2015

Moayanne volait plus lentement maintenant qu’elle était repue. Le grand dragon rouge faisait de même. Il se laissait planer dans la lumière de l’aube naissante. Moayanne admira sa maîtrise du vol. Elle était obligée de battre des ailes plus souvent que lui pour le suivre. Ils remontaient la vallée qu’ils avaient empruntée à l’aller.
- Il faut qu’on rentre, dit Moayanne à son compagnon de vol.
- Où ? répondit Lyanne.
- Mais il me faut retrouver ceux que j’ai quittés pour venir défendre Horas la belle !
- Combien as-tu d’autres lieux à défendre ?
Moayanne ne répondit pas tout de suite. Lyanne continua son chemin, nonchalamment. Elle se mit à réfléchir à ce qu’elle avait entendu de son père. Presque sans y penser, elle glissa vers ce qu’elle avait lu dans les pensées des uns et des autres, principalement dans celles de Savalli.
- Il y a…
- Alors suis-moi, l’interrompit Lyanne en plongeant vers le sol.
Elle fit la même manœuvre que lui, passant entre les arbres comme lui, slalomant avec moins de précision mais tout autant d’efficacité entre les fûts gigantesques. Elle ne fut pas surprise quand elle le vit disparaître. Elle déboucha bientôt dans ce monde noir et blanc qu’elle avait déjà traversé. Devant elle Lyanne avaient cessé de battre des ailes. Il planait. Elle se mit à sa hauteur.
- Où allons-nous ?
- Mais tu le sais reine-dragon !
- Comment le saurais-je ? J’ignore tout de l’endroit où nous sommes.
- Dans mon pays, on les appelle les Montagnes Changeantes. Dans tes légendes, elles ont peut-être un autre nom. Dans ce lieu, le temps est relatif, il est ce que nous voulons qu’il soit. La géographie est relative et devient celle que nous voulons qu’elle soit. Tu as commencé une phrase. Il y a … Finis cette phrase et tu verras la porte de sortie.
Moayanne ne comprenait pas ce qu’il disait. N’ayant pas d’autre solution, elle dit :
- Il y a Kiehre au sud du pays.
- Là ! dit Lyanne en virant pour aller vers des rochers noirs qui semblaient pousser du sol. Il s’effaça brutalement avant de les passer laissant Moayanne traverser la frontière la première. Elle fut surprise de la manœuvre. Lancée comme elle était, elle ne put que continuer tout droit et passer entre les rochers. Elle se retrouva à flanc de colline, un peu désorientée par ce relief autour d’elle. Elle se retourna à temps pour voir surgir le grand dragon rouge.
- Que fait-on ? lui demanda-t-elle.
- Quel est le problème de Kiehre ?
- C’est la grande plaine du sud. Nos provisions viennent essentiellement de là. Le vice-roi de Kiehre se plaint des trop fréquentes incursions des nomades du sud qui volent les troupeaux et pillent les greniers.
Ils s’étaient posés sur le sommet d’une barre rocheuse qui couronnait une des rares collines de cette vaste plaine. Lyanne observait tout autour de lui. Moayanne fit de même. Ils étaient côte à côte. Leurs griffes leur assuraient une excellente prise sur le rocher. Moayanne se sentait bien là, à se chauffer au soleil.
- Cette fumée... là-bas !
Moayanne regarda dans la même direction que Lyanne.
- Les champs sont en feu !
- Les paysans font parfois cela pour brûler la paille, fit remarquer Lyanne.
- La saison des brûlis est passée. Allons voir.
Moayanne donna un vigoureux coup d’aile qui fit osciller Lyanne. Cela la fit rire. Lyanne poussa un rugissement de désapprobation… ce qui la fit rire encore plus. Elle le vit s’élancer derrière elle. Elle le sentait sourire.
Ils prirent de la hauteur tout en se dirigeant vers l’incendie. Lyanne focalisa son regard sur un point au loin, près de la base de la colonne de fumée.
- Il y a des hommes avec des torches qui brûlent la récolte.
Ce fut au tour de Moayanne de rugir. Mais son cri n’avait rien d’amical. Il était fait de rage et de désir de vengeance.
Au loin les hommes s’arrêtèrent interloqués en entendant ce cri qu’ils n’avaient jamais entendu. Ils s’entreregardèrent mais aucun d’eux ne pensa à lever la tête.
Piquant comme des faucons sur leur proie, Moayanne et Lyanne attaquèrent. Les souffles glacés des dragons tuèrent flammes et hommes. Comme à Horas la belle, ce fut une débandade chez les ennemis. Lyanne survola le groupe des fuyards. Le plus vaillant tira une flèche dans sa direction. Elle n’arriva même pas à sa hauteur. Il repéra leurs montures un peu plus loin. Il en vit une plus belle, mieux harnachée. Il la saisit entre ses griffes et en fit son repas sous les cris d’épouvante des hommes en dessous. Pendant que Moayanne continuait à éteindre les feux, Lyanne se posa près des fuyards, les acculant contre une haie d’épineux. Plusieurs se prosternèrent jusqu’à terre en implorant sa clémence. Quelques uns tentèrent la fuite. Mal leur en prit. Le souffle glaçant de Lyanne les figea sur place dans la position de la fuite. Il se retourna vers les quelques survivants :
- Qui êtes-vous ?
Un des hommes s’avança :
- Nous sommes des nomades, des hommes libres. Cette terre était à nous avant que tous ceux-là nous la prennent. Alors nous venons prendre ce qui était à nous.
- Sais-tu, petit homme, qu’il est très imprudent de s’en prendre à la terre d’un dragon.
L’énoncé du mot dragon, les fit sursauter et ils reculèrent autant qu’ils purent contre la haie.
- Cette terre était nôtre, répliqua le nomade en prenant une attitude de défi. C’est ce que disent nos légendes.
- C’est bien d’écouter les légendes. Alors tu vas aller répandre une nouvelle légende. Les dragons sont revenus et malheur à qui viendra prendre ce qui est à eux. Maintenant, je sens votre or. Vous allez le laisser là, ainsi que vos bêtes et partir tant que je veux bien vous laisser la vie.
- Mais moi, je dis qu’il faut éliminer ces hommes comme de la vermine, dit Moayanne qui arrivait d’au-dessus de la haie. Elle se posa. Si sa tête était moins grosse que celle de Lyanne, ses crocs étaient encore plus gros que les poignards des nomades.
- “J’entends bien ta colère et ton désir de vengeance” dit la voix du grand dragon rouge dans son esprit. Tu es reine-dragon aujourd’hui. Peut-être est-il plus profitable de laisser partir les derniers survivants du raid pour qu’ils répandent la nouvelle de ta présence”
- “ Ils ont touché à mon peuple… ils méritent la mort” répondit Moayanne.
Elle rugit devant les hommes. Son souffle les colla aux épines déchirant les habits et la chair. Puis fixant ses prunelles d’or sur le chef, elle lui dit :
- Ta chair est aussi mauvaise que celle du chacal. Cours sans t’arrêter jusqu’à ton pays d’aujourd’hui.
À notre prochaine rencontre, je te mets à mon menu.
Avant qu’ils n’aient osé bouger, elle avait abattu ses griffes sur les quelques survivants, leur lacérant les muscles des bras.
- Maintenant fuyez… votre vie dépend de votre vitesse.
Elle souffla le feu sur la haie qui s’enflamma, les obligeant à fuir aussi vite qu’ils pouvaient.
- Peu vont survivre à ce régime, Reine-dragon, lui fit remarquer Lyanne.
- Ils ont besoin d’avoir peur. Leur amour m’est inutile.
Lyanne éteignit  le feu de la haie. Se tournant vers Moayanne, il ajouta :
- Il leur reste quelques montures un peu plus loin. Je pense que leur chef atteindra sa tribu. Alors les vieilles légendes dont j’ai vu la trace dans son esprit vont être dites à nouveau et la crainte saisira les nomades.
Moayanne tourna son regard d’or vers Lyanne. Leurs yeux se fixèrent un moment. Moayanne en fut émue, Lyanne aussi. L’instant fut interrompu par des cris. Des villageois approchaient en chantant les vieux chants de la plaine, ceux qui parlaient des oiseaux de feu et de leurs pouvoirs.

vendredi 3 avril 2015

Moayanne regardait s’avancer la colonne des courtisans. Presque sans le remarquer, elle sondait chaque esprit. Elle avait toujours su le faire, un peu. À présent, elle pouvait le faire de loin et isoler chacun. Son Esprit glissa sur le groupe en partant des derniers. Elle avait une impression étrange d’une puissance extraordinaire sans pouvoir la localiser. Cela la rendit nerveuse. Elle reprit chaque esprit l’un après l’autre. Non, rien chez les courtisans ! À part Savalli dont la pensée était aussi raide que ses actes, elle ne trouvait que petites compromissions et grande soif de gloire et de richesses. Elle parcourut les esprits des serviteurs. Là aussi la médiocrité le disputait au vide. Le pire était peut-être le palefrenier qui tenait la monture de Savalli. Son esprit ressemblait à une grand espace vide et blanc. Elle se concentra sur Savalli qui était maintenant tout proche. Il démonta avec raideur. Elle sentait sa peur de tomber et d’avoir l’air ridicule. Pourtant la bête qu’il montait, était d’une placidité rare. Savalli fit trois pas en avant et s’agenouilla, prononçant le serment qu’on prononce pour faire allégeance au nouveau roi. Derrière lui, les autres conseillers se présentèrent en faisant de même. Si aux oreilles de Moayanne, le serment de Savalli avait résonné comme une musique simple et claire, beaucoup d’autres paroles dites ce jour, lui évoquèrent la cacophonie d’une troupe de débutants. Moayanne sentait en qui elle pourrait mettre sa confiance. Certains chants de pensées lui évoquèrent Cappochi. En sondant mieux ces esprits, elle y retrouva la trace du complot pour faire du fils du roi une marionnette à leur service. Ceux-là aussi, elle les repéra. La matinée s’écoula ainsi que le prévoyait le protocole. Les vassaux présentaient leurs serments et la reine les adoubait. Puis ils rejoignaient l’espace près des tentes de la famille royale, se regroupant par affinités ou intérêts. Moayanne découvrait une nouvelle géographie… celle des alliances et des mésalliances en vue de progresser vers le pouvoir. Le fils du roi était venu la rejoindre en milieu de matinée. D’avoir vu la mort de près, l’avait bouleversé. Tout ce qui faisait sa vie avant, avait brutalement perdu de son importance. Il ne savait pas encore ce qu’il allait faire. Une certitude l’habitait. Plus jamais il ne pourrait vivre comme avant. Modtip était arrivé en fin de matinée. Moayanne trouva qu’il ressemblait toujours à un chiot un peu fou. Il avait encore besoin de temps pour mûrir.
Le chef du protocole, qui était arrivé avec le convoi, avait repris les choses en mains. C’est lui qui donna le signal du repas et qui plaça les gens. C’est ainsi qu’elle se retrouva entre Savalli et le fils du roi. La conversation était convenue, les gens compassés. Moayanne étouffait comme elle étouffait dans les banquets que donnait son père. Savalli n’osait pas aborder les vrais problèmes et le fils du roi semblait soulagé de ne pas avoir à régner. Moayanne interrompit Savalli qui lui faisait remarquer combien les cuisiniers étaient habiles pour faire d’aussi bonnes choses dans de telles conditions.
- Maître Savalli !
- Oui, ma reine ?
- Nos finances sont au plus bas.
Savalli regarda la reine Moayanne pour bien s’assurer qu’elle ne posait pas une question. Il s’interrogea un instant pour savoir comment elle pouvait savoir ce que le roi cachait à tous.
- Il faudra de nouveaux impôts pour financer les prochaines batailles. Les troupes peinent à tenir les frontières. Avant-hier, un messager est arrivé pour signaler que les gens du ponant avaient franchi les limites du royaume. Nos soldats ne peuvent faire face. Le général Rostas se replie. Il devrait pouvoir se réfugier à Horas la belle et tenir jusqu’à l’arrivée des renforts.
Moayanne visualisa Horas la belle. Elle avait aimé cette ville sise comme un joyau dans un écrin de verdure, baignée par une claire rivière où elle s’était baignée.
- Mais ils vont tout détruire !
- Majesté, dès que possible, nous enverrons des renforts, mais il faut lever un corps d’armée et surtout le payer. Les mercenaires sont chers en cette saison.
Le sang de Moayanne se mit à bouillir. Elle ne pouvait laisser ainsi ce joyau tomber aux mains des ennemis. Elle se leva brusquement.
- Je pars, Maître Savalli. Je vais à Horas la belle.
Tout le monde s’était interrompu et s’était levé devant son mouvement. Si seuls les premiers rangs de convives entendirent sa répartie, tous virent le grand oiseau de feu aux plumes brillantes comme le soleil s’envoler.
Dans la tête de Moayanne, la colère soufflait en tempête. Elle avait secrètement espéré que son père lui donnerait ce fief. Elle ne pouvait accepter perdre son rêve d’enfant. Elle pensa que le messager avait dû mettre une dizaine de jours à arriver. Elle se demanda combien de temps il lui faudrait pour y arriver…
- “ Peut-être un instant !” dit une voix dans sa tête.
Moayanne sursauta ne découvrant le grand dragon rouge volant à un empan de son aile.
- Mais Horas la belle est à des verstes et des verstes !
- Je sais cela. Je connais aussi les chemins où le temps est notre temps. Suis-moi.
Lyanne vira sur l’aile. Il avait repéré un passage par les Montagnes Changeantes. Il savait maintenant qu’il en existait dans tout l’univers. Il suffisait de les reconnaître et de savoir vers où aller, pour s’y retrouver en une pensée. Moayanne le suivit. Elle le vit plonger entre deux grands arbres et disparaître. Elle ne se laissa pas le temps de réfléchir et fit de même. Le monde devint étrange, fait de gris, de noir et de blanc. Devant elle, la tache rouge de son guide lui montra le chemin. Deux noirs rochers servirent de frontière. Elle passa entre eux, comme Lyanne l’avait fait, et jaillit en haut d’une colline dans le soir, face au soleil couchant. Sa paupière de feu se déploya immédiatement, protégeant ses yeux d’or de la lumière brûlante du soleil.
Les deux dragons remontèrent la vallée. Moayanne mit quelques instants à reconnaître la rivière qui baignait Horas la belle. Son excitation monta d’un cran en apercevant le haut village sur son tertre. Tout semblait paisible… et puis, elle aperçut les premières maisons brûlées. Des troupes coupaient des arbres pour faire des engins de guerre.
Dans le crépuscule, ce fut l’apocalypse pour les assaillants. Deux dragons déchaînés réduisirent en cendres les machines de guerre et leurs servants, ainsi que les palissades qui avaient été érigées. Du haut des remparts de Horas la belle. Il y eut des cris d’alerte, puis rapidement des hourras à chaque passage des grands oiseaux au plumage brillant.
Le général Rostas arriva essoufflé, en haut des échelles de la tour. Le spectacle était grandiose. Les guerriers, massés derrière les créneaux, hurlaient leurs encouragements. Le plus grand des deux oiseaux, dont les plumes rouges renvoyaient la lumière des brasiers, agissait avec un art consommé de la guerre. L’autre, le blanc, devait être moins expérimenté. Ses passages étaient moins efficaces et il restait plus près de la ville.
Les gens du ponant fuyaient aussi vite qu’ils pouvaient. L’enfer avait ouvert ses portes et avait vomi ses créatures les plus cruelles sous la forme de ces grands volatiles crachant le feu infernal. La nuit retentissait de leurs cris. Les langues de feu passaient au-dessus d’eux semant la panique plus que la mort. Lyanne s’amusait bien à leur faire peur. Il les guidait vers la frontière. Il jeta un coup d’œil en arrière avant de s’éloigner à la poursuite des fuyards.
Moayanne avait transformé les premiers rangs d’attaquants en véritables torches. Elle avait repéré que le grand dragon rouge faisait plus de peur que de mal et avait tenté de maîtriser sa rage de détruire ceux qui osaient s’en prendre à son fief.
Rapidement, il n’y eut plus un seul ennemi proche de Horas la belle. Çà et là des foyers d’incendie consumaient les installations du siège, éclairant la région de lumières dansantes. Les écailles blanches de Moayanne reflétaient à merveille ces palettes orange et rouges, la rendant parfaitement visible de ceux qui la regardaient du haut des remparts.
Quand elle fut sûre qu’il ne restait que des morts ou des blessés à proximité de la ville, elle décida de s’y poser. La haute tour lui sembla un lieu idéal. La terrasse serait parfaite pour un atterrissage. Elle vira sur l’aile et s’aligna. Les cris de joie et les hourras s’étranglèrent dans la gorge des défenseurs quand ils virent l’oiseau de feu s’approcher de la ville. Rostas eut un moment d’hésitation et puis il se mit à hurler à la cantonade :
- C’est l’oiseau de feu des légendes, restez calmes. Il est avec nous.
Une voix à côté de lui, lui demanda :
- Vous êtes sûr, mon général ?
Rostas n’eut pas le temps de répondre, le grand oiseau déjà cabrait ses ailes pour casser sa vitesse. Quand ses pattes arrière touchèrent la terrasse, il y eut comme une petite explosion de lumière qui fit fermer les yeux de tous les présents. Quand Rostas les rouvrit, il n’y avait plus d’oiseau gigantesque mais une petite silhouette vêtue de blanc et portant la couronne royale. Il resta un instant sans voix et puis, il reconnut la princesse.
Il mit genou à terre en présentant la garde de son épée :
- Princesse, j’ai toujours été fidèle au roi votre père. Vous portez la couronne, vous en maîtrisez la puissance en appelant les oiseaux de feu comme le fit la reine votre ancêtre. Je jure de vous servir avec honneur et fidélité.
Moayanne prit l’épée tendue. Elle était lourde, bien trop pour elle, mais curieusement, elle la souleva sans difficulté.
Autour d’eux, tous les hommes mirent un genou à terre, répétant le serment. La nouvelle se répandit comme le feu dans la paille. Horas la belle était sauvée, sauvée par celle qui appelait les oiseaux de feu.
Quand Lyanne arriva au petit matin après avoir fait courir les gens du ponant jusqu’au-delà de la frontière, il trouva une fête qui battait son plein. Il se mêla à la foule de ceux qui allaient voir de leurs yeux, les restes des ennemis. Il pénétra dans une ville qui était restée debout. Il y avait bien ça et là des dégâts dûs à la première attaque. Les gens du ponant avaient été incapables de vaincre les troupes du général Rostas. Les remparts avaient tenu aussi bien que les hommes. Il remonta la colline, trinquant à droite et à gauche. Il portait encore la livrée des palefreniers du roi. On le traitait comme on traitait les soldats. Arrivé à la porte de la citadelle, il trouva les premiers gardes restés attentifs. L’insigne royal sur son habit les incita à le laisser passer, non sans lui avoir jeté un regard soupçonneux. Il atteignit les jardins de la citadelle et y découvrit Moayanne en grande conversation avec Rostas autour d’un festin. Il vit le regard de la reine passer sur lui, s’arrêter un instant, légèrement étonnée de le voir. Cela ne dura pas, elle se tourna vers Rostas pour répondre à une de ses questions. Quand elle rechercha ce qui avait accroché son regard, Moayanne ne trouva rien. Elle eut le sentiment que quelque chose lui échappait. C’était important. Rostas accaparait son attention et elle laissa cette pensée de côté.
- “Il faut penser au départ…” dit une voix. 
Elle se tourna vivement cherchant l’auteur de cette parole. Elle ne vit personne. Entendait-elle des voix ? Peut-être était-ce le dragon rouge qui lui parlait dans la tête. Une chose était sûre. La voix disait vrai. Et puis, même si son corps de femme était repu, elle était tenaillée par la faim. Elle comprit que sa part dragon était affamée. Elle se leva, imitée par Rostas et les autres présents.
- Organise tout au mieux, général. Je reviendrai. Je pense que les gens du ponant ont compris la leçon. Horas la belle est chère à mon cœur. Je te tiens responsable personnellement de ce qui peut lui arriver.
Elle laissa Rostas balbutier des remerciements et des compliments. Elle se dirigea vers la tour, suivie par les officiers. Sur la terrasse, elle trouva tout un groupe buvant et chantant la victoire. Elle les contourna pour atteindre le bord de la tour. Dans un éclair de lumière blanche, elle devint dragon et s’envola. Dans le bref instant de lumière, Rostas vit une ombre se jeter dans le vide derrière la reine. Il s’approcha de la palissade et vit le grand dragon rouge s’élancer derrière Moayanne.
Moayanne tourna la tête en sentant la présence de Lyanne.
- Ta ville est belle, dit-il. Mais tu dois avoir faim.
- Je meurs de faim.
- Les combats font cela. Viens, j’ai repéré un troupeau du ravitaillement de l’armée des gens du ponant. Les bêtes sont juste bonnes à manger.
Quelques paysans qui s’approchaient du troupeau, furent les témoins de ce repas. Les deux dragons plongeant chacun leur tour sur le troupeau et repartant avec une proie entre leurs griffes. Quand ils les virent s’éloigner définitivement, une bonne moitié de ce qu’ils convoitaient avait disparu.