mercredi 15 février 2017

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 6

Ils étaient restés deux jours. Koubaye avait pu ainsi explorer une partie des galeries. Dehors le vent soufflait fort, faisant gémir les conduits d’aération. Le grand-père en avait profité pour lui expliquer comment barrer la route aux bayagas.
   - Le mieux, lui avait-il dit, est une solide porte. Ainsi les bayagas se heurtent au bois et ne peuvent pas passer. Mais si tu n’as pas de porte possible comme ici, alors il faut faire une chicane. Les bayagas vont se heurter dans le mur et faire demi-tour.
   - Oui, mais nous, grand-père, quand on arrive dans une chicane, on tourne…
   - Bien-sûr que nous on suit le chemin, mais les bayagas eux, courent et se heurtent à la paroi. Ils ne peuvent pas tourner comme nous. Donc ils font demi-tour. C’est comme cela…
Koubaye trouva les bayagas bien étranges. Il imaginait ces entités nocturnes malfaisantes qui sévissaient quand l’étoile de Lex se levait, comme des sortes d’êtres mi-homme mi-animal, pleins de griffes et de dents.
Koubaye s’était ennuyé dans la grotte. Il y faisait très sombre. Le grand-père ne ravivait que rarement le feu pour ne pas gâcher le bois. Il n’y avait que la faible lueur de la lampe à huile tout le reste du temps. Koubaye gardait la tête dans les épaules. Il avait peur de ce qui était au-dessus de lui. Il avait entendu, pendant qu’il courait après un mouton vagabond, des bruits d’ailes. C’était à la fois discret et inquiétant par sa discrétion même.
   - Ce sont les esprits des grottes, avait dit son grand-père. Ils vivent dans le noir et sortent la nuit. D’ailleurs si tu regardes bien, tu verras briller leurs yeux.
Koubaye avait déjà remarqué ces petits éclats de lumière qui allaient par deux. Il fut rassuré par les paroles calmes de son grand-père. Ce n’étaient pas des bayagas puisqu’il ne semblait pas les craindre. Son autre source d’inquiétude était les bruits. Il connaissait ceux du troupeau et ceux de son grand-père. Il ne savait comment interpréter les petits sifflements ou couinements qu’il entendait parfois sans parler des raclements et autres bruits de cailloux frappant la roche. A chacun de ces sons, il sursautait, regardait son grand-père et en déduisait s’il devait s’alarmer ou pas. Le seul bruit dont il avait découvert la provenance était la source. Si certaines zones de la grotte étaient humides, il y avait dans un des passages, une cuvette naturelle où s’écoulait une eau froide. Il devait venir y puiser pour les bêtes et pour eux-mêmes.
Koubaye avait été heureux quand ils avaient écarté les épineux pour sortir. Ils avaient laissé le troupeau dans la première salle avec du fourrage et de l’eau. L’hiver semblait vouloir être très froid. Les bêtes étaient leur seule richesse. Sans elles, la mort frapperait la famille.
L’air était très froid. Le paysage était maintenant tout blanc. Ils passèrent par les hautes pâtures pour voir ce que devenaient leurs autres animaux. Les vaches étaient toute serrées les unes contre les autres près de la paroi la plus protégée. Elles grattaient tristement le sol à la recherche de quelque chose à brouter. Ce fut un dur travail que de les pousser vers un autre lieu, plus favorable. Le grand-père voulait les rapprocher de la maison. Si le petit bétail pouvait se débrouiller dans les grottes, le gros bétail nécessitait plus de soin. Il fallut soulager les bêtes aux mamelles inflammées et ramener le troupeau dans la combe non loin de la maison.
Koubaye ne sentait plus ses bras à la fin de la journée. Il commençait à butter sur les obstacles malgré toute sa bonne volonté. Arrivé à la maison, il grignota à peine et partit immédiatement se coucher. Il ne vit pas le regard attendri de sa grand-mère. Il eut à peine le temps de s’allonger que déjà il dormait.
   - Il a bien travaillé, dit le grand-père.
   - Son père pourrait être fier, répondit la grand-mère.
   - Oui, s’il était là, ajouta le grand-père.
Une ombre de nostalgie passa entre eux.
   - Un jour, il posera des questions, dit la grand-mère après qu’ils eurent fini leur soupe.
   - Un jour... En attendant il est avec nous.

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