dimanche 12 mars 2017

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 8

Ce fut un appel qui le réveilla. Il sauta au bas de sa couche et se dépêcha d’aller retirer les branchages. Il se piqua mais rigolait de soulagement. Son grand-père l’appelait. Il lui sauta dans les bras quand ils furent face à face.
   - Allons, mon garçon, lui dit le grand-père. Il faut qu’on s’occupe des bêtes.
Ils travaillèrent ensemble toute la matinée pour nettoyer la grotte étable. Koubaye n’osait pas interroger son grand-père sur d’éventuels événements. Tout semblait normal et pourtant, il sentait un sentiment de tristesse chaque fois que son grand-père lui disait :
   - Faut pas qu’on traîne, aujourd’hui y a à faire.
Ils finirent vers midi. Installés dehors, ils déjeunèrent. Ils mangèrent vite et en silence. Le grand-père semblait perdu dans ses pensées, ce qui étonna Koubaye. D’habitude, le repas était l’occasion de raconter une histoire ou de parler simplement de ce qui était à faire. Koubaye repensa aux cavaliers. Qu’avaient-ils fait à son grand-père?
   - Bien, dit enfin le grand-père, on va y aller.
Il rangea sa musette, imité par Koubaye.
   - On rentre à la maison, demanda ce dernier ? 
   - Non, on va aller un peu plus loin.
La sécheresse de la réponse étonna à nouveau Koubaye. Ce n’était peut-être pas dû aux cavaliers. Il avait peut-être fait ce qu’il ne fallait pas. Pourtant, il ne voyait pas dans ses actions ce qui aurait pu déclencher cela.
Ils ne marchèrent pas très longtemps après la sortie de la grotte. Un autre éboulis cachait une autre entrée de caverne. On la devinait depuis le bas de la vallée, mais son accès nécessitait une approche détournée. Il y avait là un autre troupeau. Les bêtes étaient moins nombreuses et surtout moins belles.
   - Où est-on, demanda Koubaye.
   - C’est le troupeau de Burachka.
   - Mais pourquoi …
Koubaye n’alla pas plus loin dans sa question.
   - Il lui est arrivé quelque chose, demanda-t-il avec une pointe d’anxiété dans la voix.
   - Les seigneurs ont pillé sa maison et l’ont blessée.
Koubaye sentit une bouffée de colère lui emplir la poitrine. Il aurait bien massacré tous les seigneurs… s’il en avait eu la force.
Ils travaillèrent aussi vite qu’ils purent. Après ce troupeau-là, il fallut aller voir les bêtes qui étaient en forêt. Ils revinrent dans la vallée à la nuit tombante. Koubaye eut un sentiment d’étrangeté. La vallée avait changé. La fatigue aidant, il ne chercha pas plus loin.
Dès le matin, à la figure soucieuse de sa grand-mère, il comprit que quelque chose n’allait pas. Elle prépara la soupe et le fromage sans chantonner comme à son habitude. Son grand-père était déjà partit s’occuper dehors. Quand il demanda s’il devait le rejoindre, sa grand-mère lui dit que non et qu’elle avait du travail pour lui. Il finissait de manger quand elle mit la soupe dans un seau propre qu’elle couvrit d’un torchon et prépara un plateau avec du fromage et des galettes.
   - Tu as fini… c’est bien, on va pouvoir y aller.
Elle lui colla le plateau entre les mains, prit le seau de soupe et d’autres choses et sortit, Koubaye sur ses talons. Elle se dirigea vers le chemin.
   - Ne traîne pas… Burachka doit nous attendre.
Koubaye se hâta de rejoindre sa grand-mère et ils firent en silence le trajet qui les séparait de la maison de Burachka. Il prit conscience que la fumée qu’il voyait n'était pas normale quand il passa l’épaulement de terrain qui cachait le logis de la voisine. Il n’y avait plus de maison mais un tas de ruines encore fumantes. Seul un appentis un peu plus loin tenait debout et un mince filet de fumée s’échappait de la fenêtre. Sa grand-mère marmonna entre ses dents quelque chose qui ressemblait à un juron. Cela étonna Koubaye qui l’entendait toujours reprendre son mari quand celui-ci jurait.
   - Elle s’est levée… je lui avais pourtant dit…
Quand ils arrivèrent à l’appentis, la grand-mère frappa sur le linteau et en entra sans autre forme de procès. Burachka était assise sur une paillasse, enveloppée de couvertures. Le feu crépitait dans le poêle depuis peu vu la chaleur qui régnait dans la pièce.
Koubaye sursauta en voyant la voisine. Elle avait la tête entourée de linges tachés de sang et un bras curieusement replié sur la poitrine.
   - Tu n’aurais pas dû te lever, dit la grand-mère en posant ce qu’elle portait.
   - La vie continue, petite-mère, lui répondit Burachka. Je ne vais pas rester à ne rien faire.
   - Tu aurais pu tomber et tes plaies se rouvrir.
   - J’ai fait attention…
   - Je pose ça où, intervint Koubaye ?
Sa grand-mère lui prit le plateau des mains et le posa sur un tabouret un peu plus loin.
   - Va chercher de l’eau, lui dit-elle.
Koubaye attrapa un seau et se dépêcha de sortir. Il ne voulait pas montrer qu’il était impressionné par les pansements que portait Burachka. L’endroit où il pouvait puiser l’eau était assez loin. Près de la maison de Burachka, le ruisseau n’était qu’une mince entaille dans la prairie en partie cachée par la glace et la neige. La descente fut facile. Le retour lui demanda beaucoup d’efforts. Le seau était lourd et nécessitait ses deux mains. Arrivé à mi pente, il glissa et crut renverser toute l’eau. Il se rattrapa de justesse. Il resta là un moment, son coeur battait trop vite pour qu’il reparte. Il regarda vers le haut. On ne voyait plus que les ruines fumantes de la maison de Burachka. Il ressentit une nouvelle bouffée de rage contre les seigneurs et c’est fort de cette colère qu’il reprit son ascension.
Sa grand-mère finissait d’aider Burachka quand il arriva. Cette dernière avait un bras en écharpe et une espèce de turban sur la tête.
   - … si tu bouges trop ton bras, cela ne va pas se refermer, disait la grand-mère. Ah ! Koubaye, te voilà. Tu vas poser ça là et puis tu vas aller au-dessus pour rassembler les bêtes que tu pourras.
Koubaye acquiesça sans discuter. Il aurait bien aimé savoir ce qu’il s’était passé. Il se promit de demander à sa grand-mère dès qu’il le pourrait. Libéré de son seau trop lourd, il partit en courant vers la colline. Il repéra assez facilement les moutons. Ils s’étaient rassemblés dans une petite combe à l’abri du vent. Il fut étonné de leur petit nombre. Burachka avait eu beaucoup de naissances et son troupeau déjà grand, avait atteint une taille limite pour une femme seule. Il savait peu de choses de sa voisine. Elle avait été mariée mais on ne parlait jamais de son mari. Elle n’avait pas d’enfant. Elle avait tout pour faire une bonne épouse disait la grand-mère. Pourtant elle éconduisait régulièrement les prétendants qui venaient la voir.
Koubaye commença à pousser les bêtes vers la ferme. L’enclos lui avait semblé en bon état quand il était passé à côté. Les moutons n’étaient donc pas sortis tout seuls. Il soupçonna les seigneurs d’être à l’origine de cette fuite. Quand il arriva près de la cabane, il vit une silhouette qui remontait le chemin. C’était un homme marchant lourdement en s’appuyant sur un bâton. Koubaye continua à s’occuper des moutons et des deux trois chèvres qui bêlaient pour entrer dans l’enclos. Il les suivit et fit le tour des palissades faites d’épineux pour voir s'il n’y avait pas de trous où pourrait passer un loup. Satisfait de son inspection, il sortit et repoussa la barrière. Arrivé près de la cabane, il entendit des voix :
   - Yacoua mesneiuurs bontoué
   - Qu’est-ce qu’il dit, demandait la voix de la grand-mère.
   - Il dit que les seigneurs sont bons à tuer, dit Burachka.
   - Ah si le roi Riou était là…
Koubaye entra et se trouva face à l’homme qu’il reconnut aussitôt. Résiskia se tourna vers lui :
   - Ya ben rrrandi, articula-t-il.
   - Oui, dit la grand-mère en se rengorgeant. Il entre dans l’âge du savoir premier.
   - Aher iens, on a néyoyer a aizon… dit Résikia en regardant Koubaye. 
Koubaye se tourna les deux femmes avec un air de totale incompréhension. Burachka lui sourit :
   - Il dit que vous allez nettoyer la maison.

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