samedi 29 avril 2017

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 12

Koubaye se réveilla excité à l’idée d’aller voir ceux qui étaient arrivés. Avant, il y avait le cérémonial du premier repas. C’était une soupe chaude, garnie de viande pour avoir de l’énergie pour la journée.
   - La neige est arrivée dans la nuit, dit le grand-père. Il va falloir déblayer
Koubaye se précipita vers la fenêtre pour regarder. Tout était blanc. Sans bruit, sans tempête, la neige avait tout recouvert. Il essaya d’estimer son épaisseur. Il pensa : “ Genou ou mi-cuisse”. Cela le désola. Il n’allait pas pouvoir descendre aider Résiskia. Avec toute cette neige, le pierrier était impraticable. Cela voulait dire aussi, qu’il n’avait pas de raison pour voir les nouveaux arrivants… Le grand-père le coupa dans ses réflexions. Il venait de finir sa soupe quand il dit :
   - Faut débarrasser la neige et voir si Burachka a besoin...
Il laissa sa phrase en suspens. Koubaye pensa que son grand-père était aussi curieux que lui. Il fut ravi de travailler à pousser la neige. Il y mit un entrain qui fit sourire le vieil homme. En milieu de matinée, ils avaient dégagé ce qu’il fallait pour eux et pour les bêtes. Pour celles qui étaient en forêt, la situation était différente. Dans les grottes, elles ne risquaient rien. Il faudrait juste redoubler de précautions pour y aller. 
Enfin, ils purent descendre. Koubaye bouillait d’impatience. La neige continuait à tomber mollement. La marche n’était pas aisée. Koubaye suivait son grand-père qui choisissait avec soin le chemin. Ils enfonçaient jusqu’à mi-mollet. La descente fut plus longue que ce que Koubaye pensait. Enfin, il vit la cabane de Burachka. Il fut soulagé de constater que le chariot était là et tout blanc. Il fut soulagé. Si la neige avait recouvert le dessus du chariot, cela voulait dire qu’ils étaient arrivés avant que l’étoile de Lex ne monte dans le ciel. De la fumée montait de la cabane. Les alentours avaient déjà été dégagés. Ils s’approchèrent sans parler. Leurs pas crissaient dans la neige. Des voix arrivaient d’en bas. Résiskia ne travaillait pas à la reconstruction. Cela sembla logique à Koubaye. Il y avait trop de neige.
Arrivés à quelques pas de la cabane, le grand-père héla Burachka. Celle-ci sortit pour les accueillir. Elle salua le grand-père avec cérémonie et ébouriffa les cheveux de Koubaye qui râla pour la forme. Ils la suivirent dans la cabane. Il y faisait chaud autour du feu. Koubaye devina quatre silhouettes assises sur des tabourets.
   - Voici, Tchuba, mon oncle, dit Burachka...
L’homme se leva à moitié pour saluer. Il tenait un bol de soupe fumante et se rassit immédiatement pour continuer à manger
   -  … Sa femme, Pramib…
Contrairement à son mari, elle posa son bol et s’inclina devant le grand-père.
   - Je suis flattée de vous rencontrer, Sorayib. Vous êtes célèbre dans tous les clans.
Le grand-père s’inclina à son tour :
   - Votre tartan est respecté dans tous les clans et l’accueillir est toujours un honneur.
Koubaye suivit l’échange des salutations mais son regard allait déjà vers les autres silhouettes. L’un était un garçon qui se présenta sous le nom de Séas et l’autre une fille au teint pâle et aux cheveux clairs. Elle marmonna son nom si bas que Koubaye ne le comprit pas. Il faisait sombre mais chaud dans la cabane. Pourtant elle avait gardé sa couverture sur le dos. Koubaye se focalisa sur Séas. Il devait avoir à peu près son âge. Il en fut heureux. Il allait pouvoir jouer avec quelqu’un comme lui.
Sur un signe de son grand-père, il sortit, bientôt suivi par Séas et sa soeur. Ils ne savaient pas bien ce que voulaient les adultes. Allaient-ils parler des mystères plus profonds que ceux qu'ils connaissaient ? Koubaye entraîna les deux autres vers les enclos. Leurs pas craquaient dans la neige.
   - Moi, je suis un deuxième savoir, déclara Séas, en se rengorgeant.
Koubaye eut envie de l’écraser là, contre un rocher. Il savait qu’il ne le pouvait pas. Un hôte était sacré.
Il chercha une parole cinglante :
   - Tu rigoleras moins quand un bélier te chargera…
Séas se mit à rire.
   - Qu’est-ce que tu crois ? Nous aussi on avait des bêtes…
   - Oui, mais pas une race de montagne....
   - Et tu crois que tu vas me faire peur ? Y sont où tes monstres ? Par là ?
Séas désignait l’enclos de Burachka. Le troupeau était serré contre le rocher qui le protégeait du vent du nord. Il s’en approcha à grand pas, continuant à se moquer de Koubaye. Les moutons ne s’intéressèrent pas à lui avant qu’il ne touche à la fermeture de l’enclos. Comme dans toute la région, Burachka avait mis des branches couvertes de piquants pour éloigner les loups. Séas se piqua en voulant les enlever. Il jura et sa colère monta d’un cran en voyant le sourire de Koubaye. Faisant fi de la douleur, il lança les branchages à droite et à gauche pour se frayer un chemin. Des bêlements s’amplifièrent. Les moutons les plus près de la barrière s’agitèrent pour se diriger vers le reste du troupeau. Séas entra dans l’enclos faisant des grands moulinets de ses bras en hurlant :
   - Alors, vous m’attaquez ???
Les moutons bêlèrent plus fort encore en se serrant contre le rocher. Séas ne vit plus qu’une masse compacte de laine s’agitant pour s’éloigner de lui. Il se retourna avec un rictus de victoire :
   - C’est ça tes monstres ?
Koubaye était mortifié. Les moutons n’étaient que des moutons…
   - Tu n’es qu’au premier savoir et tu me dois obéissance !
La fille se redressa :
   - Séas, il est notre hôte !
Séas se tourna vers sa soeur :
   - Il n’est pas notre hôte… il n’est qu’un voisin.
Le ton de mépris révolta Koubaye. Il tapa du pied en hurlant :
   - Maintenant !
Séas le regarda sans comprendre, puis sentant la terre trembler, il se retourna. Un bélier, le plus gros des béliers qu’il n’ait jamais vu, le chargeait. Il essaya de l’esquiver mais il fut touché à la hanche et fit un vol plané. Il se releva en boitant, regardant Koubaye avec incrédulité. Il n’eut pas le temps de parler, le bélier revenait à la charge. Séas sauta de côté atterrissant dans les épineux. Ses cris attirèrent les adultes qui sortirent de la cabane.
Koubaye se mordit la lèvre. Il allait se faire punir. La fille, qui avait regardé ce qu’il s’était passé, s’avança à la rencontre de son père et du grand-père. En passant devant Koubaye, elle lui dit :
   - Ne dis rien, Sachant.
Koubaye ne comprit pas ce qu’elle voulait dire.
   - Que se passe-t-il, demanda le grand-père ?
Tchuba prit sa fille par le bras et lui dit avec colère :
   - Qu’avez-vous fait ?
   - Tu me serres trop, répondit la fille en se dégageant. Ton fils a voulu faire le malin. Comme toujours ! Et ça n’a pas plu au bélier.
Le grand-père regarda Koubaye dans les yeux et lui demanda :
   - Dit-elle vrai ?
Koubaye baissa les yeux.
   - Il ne voulait pas croire que nos bêtes sont plus fortes que celles de la plaine.
Le grand-père se redressa et regarda Séas qui se débattait encore dans les branches épineuses.
   - Allons le délivrer…
   - Tu es trop bon, dit Tchuba. Je laisserai bien cette tête brûlée se débrouiller tout seul !
Malgré ses dires, Tchuba suivit le grand-père. Quand ils se furent un peu éloignés, Koubaye se tourna vers la fille :
   - Que voulais-tu dire ?
   - C’est pourtant évident. Tu es un Sachant. Tu sais et tu fais. Ma grand-mère m’en a parlé. Rares sont les Sachants. Et quand apparaît un Sachant dans le monde cela veut dire que Rma va utiliser de nouveaux fils pour tisser le temps.
   - Mais toi qui es-tu ?
   - Je suis Riak, aux cheveux blancs.
Koubaye sursauta. Une cheveux blancs ! Ils accueillaient une sorcière dans leur vallon…

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