mercredi 4 octobre 2017

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 24

Riak et Koubaye restèrent immobile un moment dans la nuit noire sous la pluie qui continuait. Koubaye se remit en mouvement le premier. Il ramassa la seule branche de feuluit qui rougeoyait encore et souffla pour la réactiver. Quand elle eut repris de la vigueur, il la promena tout autour de lui. Le peu qu’il voyait semblait normal, banal. Il prit conscience du bruit du troupeau. Avant de se diriger vers lui, il regarda Riak toujours tendue la dague à la main, le regard dans le vide. Il l’appela plusieurs fois avant qu’elle ne réponde. Elle le regarda les yeux chargés d’incompréhension puis brusquement sembla reprendre vie. D’une geste  fluide, elle fit disparaître la dague sous ses habits et dit :
   - Qu’est-ce qui nous est arrivé ?
   - On a rencontré les bayagas… et je ne sais pas !
Ils longèrent l’éboulis central pour aller vers le troupeau qui s’était mis à l’abri à l’endroit le plus protégé de la grotte effondrée. Pendant que Riak tenait la branche de feuluit, Koubaye fit le compte des bêtes. Il fut heureux de voir qu’il en manquait moins que ce qu’il craignait. Il trouva le bélier et fouillant dans les sacs dont ils l’avaient chargé, il sortit une nouvelle branche de feuluit.
   - Viens par là, dit-il à Riak.
Quand elle fut près de lui, il lui montra un endroit plus sombre dans la paroi.
   - Regarde, on va pouvoir dormir là…
Ils retrouvèrent l’alcôve et tendirent une couverture devant l’entrée. Koubaye réussit à allumer un feu qui les réchauffa rapidement. Ils se sentaient épuisés mais incapables de dormir.
   - Tu l’as trouvée où, la dague ? 
   - Je suis tombée dessus dans un tunnel.
   - Tu sais où ?
  - On a traversé un ruisseau et j’ai glissé. Je me suis fait mal à la main en tombant. Le feuluit m’a échappé. Quand je l’ai ramassé, j’ai vu un caillou brillant. Ça m’a étonné. En voulant le ramasser, j’ai senti que ce n’était pas qu’un caillou. Mais tu m’as appelée, alors je l’ai mise sous mon manteau.
En disant cela, elle la fit apparaître dans sa main. Koubaye fut à nouveau étonné de la fluidité et de la rapidité du mouvement de Riak. Elle la tendit à Koubaye. Koubaye la reçut avec respect, les paumes vers le haut. Riak l’y posa. Koubaye sentit des picotements dans ses paumes et jusqu’à ses épaules. Des images lui traversèrent l’esprit, des images de combat, de sang et de plaies. Il la laissa tomber. Elle tinta en tombant au sol. Elle ne rebondit même pas, Riak l’avait déjà rattrapée. Elle la tendit à nouveau à Koubaye mais en lui présentant le manche. Il fit très attention en la prenant. Une si belle arme devait être manoeuvrée avec respect. De nouveau il ressentit le picotement et d’autres images lui vinrent à l’esprit. Il voyait de beaux uniformes et de belles robes, il entendit même comme la musique d’une danse. La dague ne pouvait venir que d’une personne…
L’émotion saisit Koubaye, lui serrant la gorge. Les larmes au bord des yeux, il bredouilla :
  - C’est la dague du roi !
Riak le regarda avec des yeux incrédules.
   - Le roi ? Le roi ! Tu en es sûr ?
   - Je la vois dans sa main… Il la portait ce jour-là… Dans la bataille… Celle où Youlba… Par le Dieu des dieux… Qu’allons-nous faire ?
Riak reprit la dague avec douceur et lenteur. Elle la regarda à la lueur du feuluit. Le manche était d’un blanc que le séjour sous terre n’avait pas altéré, les pierres qui l’ornaient, brillaient doucement.
   - Il lui faut un fourreau !
   - Mais on n’a rien d’assez beau, répondit Koubaye !
   - Tu n’as pas récupéré un tube en bois ?
   - Tu veux parler de la vieille flûte ?
   - Oui, la dague pourrait y entrer et serait à l’abri.
Excités, ils retournèrent près des bêtes pour fouiller les sacs. Quand ils eurent trouvé ce qu’ils cherchaient, Riak enfonça la lame de la dague dans le corps de la flûte qui se fendit tout du long. Elle jura. Koubaye lui demanda d’attendre et extirpa d’un sac une sangle de cuir qu’il enroula autour du tube. Il en eut assez pour faire comme une bretelle. Riak fut ravie de voir ainsi la dague à l’abri.
Quand ils furent revenus près du feu qui commençait à baisser, Riak regarda Koubaye et lui demanda :
   - Bar Loka : c’est quoi ?
   - Je ne sais pas. Ce nom s’est imposé à moi quand le bayaga a été tout près.
   - Pourquoi sont-ils partis quand tu as dit cela ?
   - J’ai vu les combats et ce nom est lié aux combats. Mais pourquoi ça a marché… je ne sais pas.
Ils discutèrent encore un peu, se racontant les détails de la rencontre, faisant des suppositions que rien ne pouvait confirmer. Le sommeil les prit sans qu’ils ne s’en rendent compte.
Ils se réveillèrent tard dans la matinée. Le ciel était toujours aussi chargé. Des pluies torrentielles ne restait qu’un crachin. Le troupeau broutait sur l’éboulis. Koubaye souffla sur les braises. Il alimenta le feu pour faire chauffer leur petit déjeuner. Riak se réveilla plus tard. Pendant qu’ils mangeaient, elle demanda :
    - Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?
   - Je suis déjà venu ici. Tu vois, derrière le grand éboulis, il y en a  un petit. Là, il y a un tunnel et au bout, la grotte aux longues pattes.
   - On en a pour combien de temps ?
   - On pourrait y être dans la soirée.
   - Et… et tu crois que la sortie est ouverte ?
   - Elle n’est pas du tout comme celle que nous avons quittée… il n’y aura pas d’eau.
Après avoir rassemblé leurs affaires et le troupeau, ils se remirent en marche. Le tunnel était large et la marche assez facile. Bientôt il longèrent un ruisseau, remontant le cours vers sa source. Riak remonta à la hauteur de Koubaye :
   - Et pour les bayagas… qu’est-ce qu’on va dire ?
   - Mais rien, Riak ! Surtout on ne dit rien, sinon on va se faire punir. Pareil pour la dague blanche, moins on la verra et mieux ça sera. Il faut éviter les questions… On peut dire qu’on a dormi dans un tunnel et puis c’est tout.
Riak approuva. Elle rejoignit les moutons, laissant le bouc et les chèvres à Koubaye. Les branches de feuluit avaient beaucoup diminué quand Koubaye cria pour signaler la vasque. Riak fut heureuse d’entendre qu’ils arrivaient.
Koubaye scruta la grotte des longues pattes avant de laisser ses bêtes y entrer. Tout semblait calme et tranquille. L’eau de la vasque avait débordé vers le tunnel, laissant la grotte propre et sèche. Il examina la litière et estima que son grand-père n’était pas venu depuis un moment. Il se dit qu’ils avaient toutes les chances de le voir arriver. Aidé de Riak, il conduisit les bêtes dans une coin de la salle. Avec des cordes, ils firent une séparation entre les troupeaux. Quand tout fut prêt, la lumière du jour avait bien diminué. Ils mangèrent et se couchèrent sur les banquettes de pierre près du tunnel de la vasque.
Koubaye dormit mal. Il rêva de la nuit précédente et de tout ce qu’il leur était arrivé. Son cri lui revenait sans cesse, le réveillant au bord du savoir. Lors d’un de ses réveils, il eut soif. Il battit le briquet et alluma une branche de feuluit. Il alla jusqu’à la vasque pour boire. L’écoulement avait diminué. Il but tout en songeant que la pluie avait peut-être enfin cessé. Quand il revint dans la grotte, tout était calme. Il regarda Riak qui avait fait tomber sa couverture. En la remontant sur elle, il aperçut qu’elle avait la main droite crispée sur la manche de la dague...

À leur réveil, ils reprirent leurs activités. Koubaye espérait que son grand-père allait arriver et qu’ils pourraient repartir tous ensemble. Le jour n’était pas bien vieux quand ils entendirent qu’on remuait les branches qui fermaient le tunnel d’accès. Koubaye fut le premier à accueillir Sorayib. Son étonnement et son soulagement furent palpables. Il leur en expliqua les raisons. Ne les voyant pas revenir,  il avait été dans la vallée où était l’entrée de la grotte du petit bétail. Il n’avait même pas pu accéder au pied de l’accès. Un glissement de terrain avait tout bouleversé. Là où coulait un ruisseau se trouvait maintenant un lac. Tout ce qui avait glissé de la montagne avait obstrué l’entrée de la grotte et le fond de la vallée. Il était reparti avec l’espoir de leur survie dans la montagne. Aujourd’hui, son idée était de lâcher les bêtes et partir à leur recherche à travers les tunnels. À leur tour, les jeunes lui racontèrent comment l’eau était montée, et comment ils avaient fui tout en suivant une chevrette. Le grand-père s’en était étonné mais Riak lui avait répondu que Koubaye avait vu. Sorayib avait alors posé un regard chargé d’admiration sur son petit-fils. C’est elle encore qui avait glissé dans son récit qu'ils avaient dormi au milieu de nulle part au sec dans un tunnel.
   - Mais on a perdu beaucoup de bêtes là-dessous, avait ajouté Koubaye.
Le grand-père les avait rassurés. Les bêtes, il y en aurait d’autres, eux étaient irremplaçables.
Après avoir rangé la grotte, ils firent sortir les bêtes. Tout était détrempé. Ils menèrent les troupeaux vers des clairières un peu plus en hauteur sur des terrains mieux drainés. Et enfin, ils prirent le chemin de la maison.

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