vendredi 5 janvier 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 33

Koubaye avait marché toute la journée derrière Siemp. Ils étaient passés rapidement par l'auberge pour prendre le maigre bagage de Koubaye et saluer Sorayib. Les adieux avaient été brefs. Koubaye était parti le coeur lourd. Son grand-père aussi était ému. Il l'avait rassuré en lui disant qu'il allait apprendre bien plus au mont des vents qu'il n'en aurait appris en restant ici toute sa vie.
Siemp n'était pas un homme bavard. Il était pourtant attentif. Beaucoup plus grand et plus massif que Koubaye, il avait fait attention de ménager son jeune compagnon en faisant des pauses régulièrement. Koubaye, qui cherchait à savoir, posait des questions durant ces moments. Il recevait des réponses courtes et évasives, globalement peu informatives.
Il apprit que Siemp était un vieux serviteur de Balima. Il comprit que ce dernier avait de hautes fonctions car il connaissait les grands savoirs et que, depuis peu, on, et Koubaye avait entendu Lacestra, lui avait confié la gestion de la maison des savoirs du mont des vents. Siemp servait de coursier et, avait-il annoncé :
  - C'est la première fois que j'emmène un colis aussi bavard.
Koubaye n'avait plus osé l'interroger. Ses pensées étaient alors revenues sur la vie qu'il quittait. C'est alors que l'image de Riak s'était imposée à son esprit. Il n'avait même pas eu le temps de lui dire au revoir. Qu'allait-elle penser ? Il repensa aux derniers moments sur l'estrade. Il avait vu déteindre les cheveux de Riak et après quelques cris, il y avait eu la bousculade. Depuis, il était sans nouvelle. Tout en marchant, il essaya d'invoquer son image sans parvenir à un résultat. Puis la fatigue aidant, il devint comme une machine à marcher. Sa seule pensée était de continuer d'avancer.
Quand la nuit tomba, Koubaye espérait l'arrêt à chaque maison. C'est aux toutes dernières lueurs du jour qu'ils atteignirent un hameau. Au centre, la grande maison était une auberge. Ils y entrèrent. Cela réveilla Koubaye. Il n'avait connu que celle du village et il était curieux de découvrir d'autres lieux. Il fut déçu. Il retrouva une salle de même genre et, s'il ne connaissait personne, il vit bien que ceux qui venaient là, ressemblaient beaucoup à ceux qui fréquentaient l'auberge de Gabdam. Siemp commanda deux repas. Son air bourru et ses réponses brèves découragèrent les tentatives de communications de l’aubergiste. Quelques uns parlaient à haute voix. Koubaye entendit parler de la pluie, des récoltes et de la mauvaise humeur de Youlba. Plus le dîner avançait et plus son excitation diminuait. Alors qu'il finissait sa galette, il ressentit la fatigue comme une chape. Quand Siemp se leva de table, Koubaye le suivit jusqu'à un petit réduit garni de deux paillasses. Il était à peine couché qu'il dormait déjà. Il n'entendit pas Siemp partir, pas plus qu'il ne l'entendit revenir.
Il se réveilla en pleine nuit. Le noir était complet. Il entendait la respiration régulière de Siemp qui dormait. Il s'assit sur sa paillasse recherchant ce qui avait pu le réveiller. Il resta un moment comme cela, laissant son esprit libre d'aller et venir. Il pensa à Riak. Il eut comme un éclair devant les yeux. Il sut. Il sut sa détresse et sa peine, sa colère et sa curiosité. Il sut qu'elle se sentait seule. Alors il murmura :
   - Où que tu ailles, quoique tu fasses, j’en aurai le savoir. Sois sans peine et garde ta colère. Ce qui va t’advenir sera l'écheveau de Rma.
Devant ses yeux, la lumière s’adoucit. Il savait Riak en paix.
Le jour n'était pas encore levé quand Siemp le réveilla. Une fois le repas fini, ils reprirent la route. À la première pause, Koubaye demanda :
   - On va marcher comme ça combien de jours ?
Siemp le regarda, sembla réfléchir un moment et articula :
   - Quatre jours pour atteindre la plaine, et après on ira plus vite. Bien, assez parlé, on repart.
Et sans rien ajouter, il avait remis son baluchon sur l'épaule et s'était remis en route. Koubaye se dépêcha de le suivre. Il pensait : “Plus de quatre jours de voyage… Le monde est-il si vaste ?” Comme souvent quand son esprit était préoccupé par une question, le savoir venait. Il coulait en lui comme un ruisseau, clair et limpide. Le mont des vents était loin, très loin. Même s'ils marchaient plus vite dans la plaine que sur le chemin de montagne qu'ils suivaient, il faudrait presque une lunaison pour y arriver. Il eut un instant de découragement et puis il pensa que Rma saurait bien tisser les fils du temps pour croiser les destins.
Le paysage changeait. Siemp avait pris par le col Difna. Il coupait la montagne au plus court. Koubaye et les siens habitaient la chaîne de montagne au nord du pays. Plus on s'y enfonçait plus les sommets étaient hauts et enneigés. À leurs pieds, on avait la plaine du roi Riou. Là où avait eu lieu la funeste bataille. Cette plaine rejoignait le fleuve Polang qui servait de frontière, avant, avec le royaume des seigneurs. En descendant le fleuve Polang, on rejoignait assez facilement le reste du royaume à travers les gorges du Tianpolang. Un large passage bordé de falaises. C'est par là que passaient les chariots et les gens qui avaient le temps. Tout le commerce entre les deux royaumes y passait.
Pour rejoindre la plaine du roi Riou, on devait passer le saut du Cannfou. La rivière Cann qui courait dans la plaine du roi Riou, donnait naissance à une cascade haute comme dix hommes. Les chariots déchargeaient à ses pieds dans la ville qui portait le nom de la cascade et on chargeait les bêtes et les hommes pour continuer le voyage vers les hautes terres. Le roi Verne avait pris les gorges du Tianpolang dès le premier assaut. Le roi Riou avait dû faire passer son armée par le col de Difna. Le chemin était bien tracé, Siemp et Koubaye avançaient bien. Ils s'étaient arrêtés dans le premier relais et devaient passer le col pour atteindre le deuxième. Koubaye aurait bien aimé passer par l'autre chemin. Il avait nourri le secret espoir de voir sa mère. Aujourd'hui l'étape allait être dure. Siemp lui avait prédit la souffrance et il n’en menait pas large. La montée était raide et longue. Les pauses avaient diminué. Ce soir, l'étoile de Lex revenait et avec elle, les bayagas. Siemp les craignait beaucoup, Koubaye plus du tout depuis cette nuit dans la caverne effondrée. Il savait qu'il ne risquait rien. Il savait leur nature. La pluie les rejoignit avant le sommet, faisant soupirer Siemp. Il avait mis une cape épaisse et avait repris son chemin au même rythme. Koubaye n'avait rien d'autre que son manteau. Il en releva le col et mis son bonnet, peinant pour tenir le rythme. Siemp ne s'arrêta même pas au sommet. La descente fut difficile. Koubaye glissa et tomba plusieurs fois. Siemp se rattrapa quelques fois sans que ces malheureuses expériences ne le fassent ralentir. C'est exténué que Koubaye atteignit le hameau du deuxième relais.
Comme la première nuit, il ressentit chez Riak un mélange d'étonnement et de colère, de plaisir et de peurs.
Au matin, Siemp lui fit presque un discours :
   - Aujourd'hui, on va quitter la montagne. Devant nous c'est le coeur du royaume. On va aller beaucoup plus vite dès qu'on aura atteint Smé. Je vais t'apprendre comment les Oh’m'en se déplacent. Le mont des vents est vers l’ouest.
Koubaye sut alors que Siemp était un Oh’m’en et que dans son coeur, la nostalgie de sa steppe était grande. Il ressentit dans ses muscles ce qui devait être fait pour se déplacer comme eux. Cela le fit sourire. En attendant, ils reprirent leur marche. Le chemin était plus facile, plus large, plus fréquenté. La terre était plus riche sur ce versant et des champs en terrasse succédaient aux champs en terrasse. Ils traversèrent un paysage de collines de moins en moins hautes. À chaque petit col, Koubaye découvrait un peu plus la grande plaine. Le soir, ils furent à Smé. Contrairement à ce qu'il pensait, ils n'allèrent pas dans une auberge. Siemp frappa à un haut portail sculpté. Une petite porte s'ouvrit. Un homme de même stature que Siemp les dévisagea et s'adressa à eux dans un idiome que Koubaye ne connaissait pas, la langue des Oh’m’en. Siemp lui répondit dans la même langue. Aussitôt, avec un sourire, le portier les invita à entrer. La cour était assez vaste et entourée de hauts murs. La maison avait un étage. Le portier cria quelque chose en s'adressant à quelqu'un dans la demeure. Immédiatement une femme en sortit et vint embrasser Siemp en exprimant une grande joie. Puis elle se tourna vers Koubaye, le regarda de la tête aux pieds et dit quelque chose à Siemp. Celui-ci répondit en langue commune :
   - Mon maître m'a demandé de l'emmener rapidement au mont des vents. Il pourrait marcher comme un Oh’m’en.
Le femme répondit :
   - Sait-il ?
   - Il n'a jamais quitté la haute vallée !
   - Alors il faut qu'il essaye.
Elle se tourna vers le portier en lui donnant des ordres en langue Oh’m’en. Celui-ci courut sous l'auvent qui longeait le mur extérieur et revint avec une brassée de perches. Koubaye les regarda faire, intrigué. Siemp lui dit :
   - Suis-moi !
Au bord de la maison, il y avait un escalier montant à une petite terrasse. Siemp s'assit sur le bord, les jambes pendantes et fit signe à Koubaye de faire de même. Le portier disposa rapidement quatre perches près de chacun. Siemp dit à Koubaye :
   - Fais comme moi.
Avec dextérité, il attacha les deux plus courtes à ses pieds, saisit les deux longues et d'un coup de rein, il se retrouva debout au milieu de la cour. Koubaye, qui l'avait regardé, fit de même. Quand Siemp le vit debout comme lui, il se mit à marcher en longeant le mur. Koubaye le suivit. Et quand Siemp se mit à courir, Koubaye le suivait encore. Siemp se laissa tomber en avant, et avant de se retrouver face contre terre, il avait défait ses échasses et atterri sur ses deux pieds. Quand Koubaye fit de même, la femme applaudit. Elle dit alors à Koubaye :
   - Le maître de Siemp a raison. Tu n'es pas un garçon commun. C'est un honneur pour moi de t'accueillir sous mon toit. J'envoie un marcheur tout de suite pour préparer votre route. En attendant entrez et reposez-vous !

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